Les soutiens-gorge sont de retour, et ils sont plus bizarres que jamais

«All the girls were excited, they wanted them more pointy,» a déclaré Miuccia Prada juste après le défilé FW25 de Miu Miu, qui a marqué le retour du 'bullet bra', le soutien-gorge né pendant la Seconde Guerre mondiale et ainsi nommé pour sa forme distinctive de projectile. Douze ans après l'explosion du mouvement 'Free the nipple' contre la censure du téton féminin, le soutien-gorge revient sur le podium en en devenant le protagoniste principal. Au cours des deux dernières saisons, des marques comme Mugler, Masha Popova, Courrèges et Vaquera ont mis en avant cette lingerie toujours au centre des débats, parfois trop inconfortable, d'autres fois trop sexy pour rester cachée. Désormais, le soutien-gorge fait partie intégrante des looks : du 'top bra' à accessoire essentiel pour sublimer toute la collection. Si au fil des siècles le soutien-gorge a pris différentes formes, aujourd’hui, l’adjectif qui lui convient le mieux est 'subversif'. Valerie Steel, directrice et conservatrice en chef du Musée du Fashion Institute of Technology, en s’arrêtant sur Miuccia Prada et le retour des 'bullet bras', précise dans Harper’s Bazaar : «Ce sont des marqueurs féminins phalliques. D’un côté, ils sont féminins, mais ils sont aussi vraiment phalliques : ils pointent droit devant, et ils sont très agressifs.» Et peut-être que le but de leur retour est justement cela, aller à l’encontre de la conformité habituelle du soutien-gorge, l’élevant à un outil d’expression créative personnelle.

Bien que certains historiens pensent que l’origine du soutien-gorge remonte au moins au quatrième siècle avant J.-C., ce n’est qu’en 1910 que Mary Phelps Jacob, en pleine crise au bal des débutantes, ne trouvant pas de corset convenant à sa robe, créa avec deux mouchoirs de soie noués d’un ruban la version du soutien-gorge que nous connaissons aujourd’hui. Dès lors, la structure du soutien-gorge a subi de nombreuses modifications : des torpedo bras aux conical cups, portés par les plus célèbres icônes des années 50, parmi lesquelles Marilyn Monroe, Jane Russell et Sophia Loren. Ce fut la période où le soutien-gorge devint essentiel pour sculpter son corps et se sentir plus sexy. Et pour cette même raison, il commença à disparaître - ou plutôt, à être brûlé - pour la première fois vers la fin des années 60 avec les mouvements d’émancipation féminine, lorsque les femmes ne mettaient plus leur corps et le fait de se sentir attirantes au premier plan. Néanmoins, l’utilité du soutien-gorge était indéniable, c’est pourquoi Polly Smith, Lisa Lindahl et Hinda Miller créèrent le jogbra, aujourd’hui plus communément connu comme soutien-gorge de sport.

Dans la mode, qu’il faille 30 ans ou plus, tout revient. Selon les dernières données de Mordor Intelligence, actuellement les soutiens-gorge dominent le marché de la lingerie avec une augmentation des ventes de 55,94% en 2024 et une possible croissance de 8,79% d’ici la fin de 2025. On pourrait dire cependant que certaines marques l’avaient déjà anticipé il y a quelques années. En effet, Louis Vuitton, Loewe et Margiela ont commencé à utiliser les soutiens-gorge comme ajout fondamental aux looks de podium dès 2018, les portant par-dessus des chemises ou des t-shirts simples, apportant ainsi une touche créative et provocante. Et c’est de la provocation que naissent les meilleures idées. En mai dernier, Kim Kardashian a lancé son Ultimate Pierced Nipple Push-Up Bra : un véritable hymne à la séduction qui a fait planter le site de Skims en quelques heures à peine. Du téton en relief intégré au piercing amovible, ce soutien-gorge ne donne pas seulement une nouvelle forme à celles qui souhaitent se sentir irrésistibles même habillées, mais il élève aussi les standards de confort grâce au tissu en microfibre brillant, à sa réglabilité et sa polyvalence.

Inutile de préciser cependant que Jean Paul Gaultier était en avance sur tout le monde dès les années 90, lorsqu’il conçut la guêpière en satin à bonnets coniques que Madonna porta lors de sa tournée Blonde Ambition, le même modèle avec lequel Iman défila un an plus tard. L’audace des créateurs, heureusement, continue de briller sur les podiums : de Milan à Paris, le soutien-gorge est désormais l’élément incontournable pour attirer l’attention. Si les transparences séduisent, le jeu de cache-cache des soutiens-gorge devient encore plus séduisant. Dentelles, micro couvertures, il n’y a pas de limites. Autant de retours en arrière que d’innovations pour l’avenir. McQueen, Acne Studios et Coperni sont quelques-unes des marques ayant lancé la 'obsession du soutien-gorge'. Si Sarah Burton, pour ses débuts chez Givenchy, choisit de le faire en douceur, Duran Lantink pour sa SS25 réinvente la silhouette et emprunte le style 'airbag', avec des vestes bomber qui rendent la poitrine si grande qu’elle semble sortie tout droit d’un dessin animé de Betty Boop. Mais tout devient encore plus troublant et effronté lors du défilé FW25, où à de simples pantalons tailleur ont été associés des prothèses en forme de torse et de poitrine. Au-delà des soutiens-gorge avec faux piercings, en 2025 même la lingerie devient une prise de position en une période marquée par des tensions sociopolitiques pour toutes les minorités (tandis que Trump entend exclure les personnes trans de la vie publique avec de nouvelles lois, la cour suprême anglaise établit que la définition légale de femme doit reposer uniquement sur le sexe biologique). Lantink et Prada, tout comme Gaultier en son temps, s’interrogent sur la véritable signification de la féminité : souvent, comme le montrent leurs soutiens-gorge, jouer avec le rembourrage peut être un acte à la fois ludique et politique.