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Hermès peut-il devenir la nouvelle Rolex ?

Les marques d'ultra-luxe veulent défier les grands noms de l'horlogerie de luxe, mais le défi est de taille

Hermès peut-il devenir la nouvelle Rolex ? Les marques d'ultra-luxe veulent défier les grands noms de l'horlogerie de luxe, mais le défi est de taille

Aujourd'hui se clôture à Genève l'une des foires les plus importantes du secteur de l'horlogerie de luxe, Watches and Wonders, au cours de laquelle les plus grands acteurs du marché des montres suisses ont présenté les prochaines collections et les nouveaux modèles à environ 45 000 visiteurs. Si les grands noms classiques de l'horlogerie de luxe suisse ont dominé l'exposition (Rolex, Vacheron Constantin, Hublot et Jaeger-LeCoultre pour n'en citer que quelques-uns), cette année, la présence de deux marques de mode, Hermès et Chanel, a été plus agressive que d'habitude. Habituellement, de nombreuses marques de mode présentent leurs montres à Watches and Wonders, généralement toutes produites en Suisse, mais est-il pensable qu'une marque de mode ultra-luxe puisse rivaliser avec les grands acteurs du secteur et surtout éroder leur marché ? Le défi est titanesque, mais peut-être que le moment pourrait être propice : nous sommes à un moment critique pour l'industrie horlogère de luxe, en particulier en Suisse, où les exportations ont chuté de 3,8 % en février. Selon Laurent Dordet, PDG de Hermès Horloger, qui a discuté de la question avec BoF, le moment commercial difficile traversé par ce marché normalement si statique représente une source d'opportunités intéressantes, d'autant plus que les montres Hermès ont représenté une catégorie particulièrement résiliente dans le business de la marque, enregistrant une croissance de 2,3 % en 2020 tandis que l'ensemble du secteur faisait face à une baisse généralisée de 22 %. En 2023, Hermès a de nouveau dépassé le marché suisse, enregistrant une augmentation du chiffre d'affaires de 23 % pour 611 millions d'euros.

Le succès de la division horlogère de Hermès peut être attribué à une combinaison de facteurs. La production internalisée et localisée en Suisse depuis pratiquement un siècle (le premier partenariat avec le producteur local Movado remonte à 1928), la qualité et l'innovation des produits, et bien sûr, le positionnement pratiquement parfait de la marque sur le marché du luxe. Pour soutenir cette production, il existe également un solide réseau de distribution comprenant 100 points de vente, dont les prestigieuses boutiques Hermès, qui rendent donc le réseau de vente au détail principalement internalisé. L'intérêt croissant pour l'offre de montres Hermès, avec des produits très forts comme la montre de sport H08 sortie il y a trois ans, a propulsé la marque au sommet des classements d'une industrie normalement très "fermée" en ce qui concerne les goûts des clients. Selon les estimations de Morgan Stanley, Hermès occupe actuellement le 16e rang parmi les fabricants suisses de montres en termes de chiffre d'affaires. Cela la place devant des marques historiques du secteur telles que Tudor, Panerai et Van Cleef & Arpels, et juste derrière TAG Heuer - une avancée de dix places par rapport à la même analyse réalisée par Morgan Stanley en 2020. De plus, toujours selon Morgan Stanley, Hermès a été classé comme la principale et la plus solide marque de luxe multi-catégorie capable de pénétrer le secteur de l'horlogerie, aux côtés de Bulgari, Chanel, Montblanc et Louis Vuitton.

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Les données de Morgan Stanley rapportées par BoF sont certainement indicatives : c'est surtout la stagnation du marché chinois qui a entravé les exportations de montres suisses, ce marché s'étant imposé ces dernières années comme un acteur clé (voire l'acteur clé unique) du marché mondial des montres de luxe. Karine Szegedi, associée directrice pour l'industrie des biens de consommation, de la mode et du luxe chez Deloitte Suisse, qui a co-écrit un rapport cité par Jing Daily ces derniers jours, a souligné le charme croissant des montres ultra-luxueuses auprès des ultra-riches en Chine, alors même que, malgré l'effondrement des exportations vers la Chine, la demande de montres haut de gamme reste robuste. Il a en effet été enregistré une augmentation de 9 % des exportations mondiales de montres d'un prix égal ou supérieur à 3000 francs suisses, avec 55 % des consommateurs préférant faire leurs achats en magasin physique. Néanmoins, entre le ralentissement de l'économie et des dépenses en Chine et les listes d'attente souvent très longues pour des modèles comme la Rolex Daytona ou la Patek Philippe Nautilus, une partie significative des consommateurs en Chine et à Hong Kong s'est tournée vers l'achat de montres d'occasion en 2024, principalement guidée par des considérations économiques (même si en théorie certaines Rolex d'occasion sont devenues plus chères que les neuves) et par l'absence de listes d'attente.

Dans cette optique, le modèle économique de Hermès est très fonctionnel, car d'une part, les montres de la marque, toutes suisses, se situent dans différentes gammes de prix, allant de légèrement plus de 3000 € à 117 000 €, et intéressent donc autant le collectionneur que le client plus "occasionnel" de la marque ; d'autre part, 62 % des achats de montres de luxe se font en magasin physique. Ainsi, dans le cas des montres "mode", accompagnées de tous les autres produits authentiques Hermès et Chanel, dans une proposition de vente au détail beaucoup plus structurée et multisectorielle que la boutique de montres classique où l'on entre généralement avec un modèle bien en tête et l'on achète avec prudence. Acheter une montre Hermès peut être quelque chose de décontracté pour un client VIP qui dépense déjà abondamment en boutique, d'autant plus qu'en Chine, il est désormais possible d'acheter des Rolex d'occasion en contournant le processus d'achat officiel. Hermès parviendra-t-il à devenir la nouvelle Rolex ? Peut-être pas immédiatement, mais donnons-lui cinq ans.