L'anatomie du succès de JW Anderson Retour sur l'histoire de l'alchimiste de la mode

Jonathan William Anderson ne rate jamais son coup. Avec le fashion month à nos portes, entre débuts très attendus et autres énormes points d’interrogation, avec Trotter chez Bottega Veneta, Piccioli chez Balenciaga, Belotti chez Jil Sander, le seul qui semble avoir une place fixe dans l’Olympe, méritée, c’est lui. Il est donc intéressant de faire un retour en arrière afin de comprendre pourquoi, en retraçant son histoire, les étapes clés et la philosophie qui l’ont rendu le prototype parfait du directeur créatif à l’ère de la mode comme divertissement.

Irlandais, né en 1984, il grandit en Irlande du Nord marquée par les tensions civiles, avec un très fort désir de s’évader et de voyager loin avec l’esprit. Deux éléments le forment dès le départ. Le premier concerne la famille et ses choix très jeune : son père était un joueur de rugby important, lui au contraire choisit le théâtre. Deux mondes qui imposent discipline et travail collectif, qualités qui deviendront centrales dans sa carrière. Le second élément est la rencontre avec Manuela Pavesi, photographe et fashion coordinator chez Prada qui devient une véritable mentor : elle le soutient, le guide et le pousse à s’inscrire au London College of Fashion, où il se forme comme designer.

En 2008 il débute avec la première collection JW Anderson. De là la croissance est rapide : en 2012 LVMH investit dans la marque éponyme, lui donnant structure et solidité, et en 2013 il est nommé directeur créatif de Loewe. En quelques années il transforme l’historique, et alors immobile, maison espagnole de maroquinerie en une des réalités les plus intéressantes du groupe, grâce à un équilibre parfait entre artisanat et culture. En parallèle il mène son propre label, qui aujourd’hui n’est plus seulement mode mais un véritable laboratoire lifestyle.

Anderson est considéré comme un des designers les plus brillants de notre temps. En tant que millennial il a compris que les outils technologiques doivent être maîtrisés et utilisés pour dialoguer avec l’appétit du consommateur, sans toutefois se laisser submerger par les tendances. Ses collections ne suivent jamais une seule voie, exactement comme nos vies on-life. Connaisseur, collectionneur et chercheur d’art contemporain, il agit comme un curateur. Son exposition Disobedient Bodies au Hepworth Wakefield en 2017 en est la preuve : un parcours qui mettait en dialogue sculptures et œuvres d’art avec des pièces d’avant-garde de son archive et de la collection du musée, réfléchissant sur le rapport entre corps, mode et forme.

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Les collections d’Anderson fonctionnent comme un après-midi passé à scroller sur les plateformes : jamais un seul discours, mais de nombreux fragments. Mini capsules qui racontent des stimulations différentes et qui ensemble composent un chaos ordonné, encore capable d’amuser. Et combien manque aujourd’hui le divertissement dans ce monde ? Célébrités et acteurs front row alimentent la tension du show pour ceux qui ne s’intéressent pas aux vêtements, tandis que des installations comme celle de Lara Favaretto pour la FW24 de Loewe — qui, en plus de souligner un goût très raffiné, amplifient son statut de créatif et le respect de la sphère artistique - démontrent sa capacité à se mouvoir avec naturel dans le monde de l’art.

Ces dualismes sont la synthèse de notre temps : omnivore et apparemment cohérent. Une approche réaffirmée aussi dans son défilé pour Loewe SS25, avec la sculpture d’un petit oiseau en bronze de Tracey Emin au centre du podium, qui suggérait un regard d’en haut, Anderson a présenté une série d’archétypes reconnaissables — de la jupe à cercle florale aux t-shirts plumeux avec Mozart et Van Gogh comme rappel au monde merch — expliquant son approche avec les mots : «Putting out ideas, like archetypes that you believe in». Exactement la même méthode qui l’a conduit au début avec Dior Homme et qui nourrit ses incursions dans le cinéma commencées avec Challengers avec Luca Guadagnino : la mode comme scénario plus que comme simple production de vêtements.

Dans un système qui a épuisé ses codes et se réfugie dans les micro tendances, l’attitude curatoriale d’Anderson devient une clé pour rendre le fashion world encore désirable. Anderson l’exerce avec lucidité, ironie et méthode, entre cigarettes et visites d’atelier d’artistes. Et tandis qu’on attend de voir ce qu’il fera encore avec Dior, sa marque éponyme a fait un choix stratégique : se transformer de marque de vêtements à lifestyle brand, reprogrammant ses propres codes dans un laboratoire ouvert. Plus de 560 objets — céramiques, chaises vintage, miel artisanal, livres — racontent son esthétique comme un archive vivant. Un choix qui reflète l’esprit du temps, celui qui pousse de plus en plus à investir dans un objet plutôt que dans un manteau.

La lucidité avec laquelle Anderson interprète le présent le rend aussi un possible objet d’étude. Il est clair, maintenant plus que jamais, que la mode est du divertissement pur, un monde de plus en plus proche du récit filmique et de plus en plus éloigné de la production de seuls projets à porter. Dans les universités contemporaines les studies sont désormais centrales, comme le démontre le célèbre cours Politicizing Beyoncé à la Rutgers University de New Brunswick (New Jersey). Il ne serait donc pas surprenant, dans le futur, de tomber sur un cours entièrement dédié à Jonathan Anderson.

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