
La chaîne Telegram où les hommes commentent les photos des femmes sur Vinted
Une enquête d'un journal allemand montre la face cachée de la première plateforme de revente européenne
28 Avril 2025
Si vous êtes une femme et que vous utilisez Vinted pour vendre des vêtements d'occasion, il est loin d'être improbable que vos photos se retrouvent dans des groupes Telegram sans votre consentement. C'est ce que révèle une enquête menée par Tagesschau, l'un des principaux journaux télévisés allemands, qui a enquêté sur ce qui peut être considéré comme un énième crime à caractère sexuel proliférant sur Telegram. Selon l'enquête, plusieurs groupes anonymes seraient apparus sur la plateforme de messagerie instantanée au cours de l'année dernière, où des hommes partagent et commentent des photos d'annonces publiées par des utilisatrices de Vinted, souvent sur un ton sexualisé. Le mécanisme repose sur les fameuses « photos portées », c'est-à-dire les images où les vendeuses portent les vêtements pour en montrer la coupe, devenant ainsi malgré elles l'objet d'attentions non sollicitées. Avec plus de 65 millions d'utilisateurs, Vinted est l'une des principales marketplaces numériques de mode de seconde main, et sa popularité est en croissance constante en Allemagne, en France et en Italie. Cependant, cette visibilité expose également les utilisatrices à des risques croissants qui ne se limitent pas aux arnaques et contrefaçons. Les journalistes ayant mené l'enquête ont observé pendant plusieurs semaines le canal public Telegram intitulé « Girls of Vinted », enregistrant une augmentation constante du nombre de membres — majoritairement des hommes — passés d'environ 1 600 à plus de 2 000 en quelques semaines. Les images partagées montrent principalement des vêtements moulants, des crop tops ou des shorts, accompagnés de commentaires ou d'emojis sexualisés, tels que des cœurs ou des flammes. En complément, des liens vers les profils Vinted originaux permettent aux utilisateurs de contacter directement les vendeuses.
@localwinemum A Telegram channel has now been discovered that posts and shares pictures and information of women that the users find on the popular secondhand clothing site Vinted. The channel has a mostly male audience and many of the women posted on there are now being harassed by these men on Vinted and other platforms #fy #foryou #fyp original sound - seba
Derrière cette dynamique se cache une question plus large de violation de la vie privée et d'agressions numériques, où les victimes se retrouvent exposées sans possibilité de contrôle. Le cas de Bella, une étudiante de 26 ans vendant régulièrement des vêtements d'occasion sur Vinted, est emblématique. Bella a commencé à recevoir des messages à caractère sexuel de la part d'inconnus, des commentaires partant de questions apparemment anodines pour rapidement dégénérer : « Est-il toujours disponible ? » suivi de « Et la lingerie dessous ? ». Des photos d'elle — ainsi que d'au moins une centaine d'autres femmes — ont été partagées sur des canaux Telegram sans leur consentement, selon l'enquête conjointe menée par NDR, WDR et Süddeutsche Zeitung. Les administrateurs de ces canaux restent en grande partie anonymes. Dans le cas de Girls of Vinted, l'administratrice se présente sous le nom de Sara, une prétendue Milanaise de 29 ans, mais il n'est pas certain qu'il s'agisse réellement d'une femme ni s'il existe derrière une organisation plus structurée. Sara, en plus de gérer le canal, proposait également des services sexuels payants, tels que des chats érotiques ou des vidéos intimes, utilisant la monnaie interne de Telegram, les “étoiles”, pour monétiser les contacts. Lorsqu'interrogée par les journalistes, l'administratrice a d'abord défendu son activité en affirmant simplement republier des annonces publiques pour augmenter la visibilité des vendeuses, avant de supprimer le canal le lendemain.
Men are using vinted to get women’s locations and posting their pictures and addresses on telegram, there is no outlet or method they won’t resort to to endanger and harm women. They are the enemy realize it already. There is no such thing as peaceful coexistence with them.
— morana (@queenofheavn) April 25, 2025
D'un point de vue juridique, la situation se complique. Comme l'explique Max Dregelies, expert en droit des médias à l'Université de Trèves, à Tagesschau, la diffusion non autorisée d'images viole les droits à la vie privée et à la protection des données. Mais faire valoir ces droits demande du temps, des ressources financières et, surtout, une identité certaine contre laquelle agir. Telegram, dépourvu de siège officiel dans l'Union européenne, ne dispose que d'un seul représentant pour les autorités à Bruxelles, rendant difficile toute action juridique efficace. Vinted, de son côté, affirme avoir une politique de « tolérance zéro » envers les communications non désirées ou à caractère sexuel et offre aux utilisateurs des outils de signalement. D'après les témoignages recueillis, les vendeuses dénonçant les messages indésirables voient les profils bloqués seulement après plusieurs jours, pour recevoir ensuite de nouveaux messages d'autres comptes. En cas de diffusion d'images sur des plateformes tierces comme Telegram, la responsabilité incombe aux victimes, invitées à contacter directement les administrateurs des canaux. Le cas de « Girls of Vinted » n'est pas une anomalie, mais une énième confirmation que l'application de messagerie — malgré les controverses de l'année dernière — reste un terrain fertile pour les crimes numériques, notamment à caractère sexuel. Dans le même temps, Telegram a confirmé aux journalistes avoir bloqué à la fois le canal et les comptes concernés pour violation des conditions d'utilisation du réseau social.