
Gen Z stare : comment les jeunes affrontent le monde du travail Spoiler : mal, mais qui doit-on blâmer ?

Pour la première fois dans l’histoire, cette année la Génération Z dépassera les Boomers dans la population active. Il s’agit d’un passage naturel, lié à l’augmentation du nombre d’individus nés au milieu du siècle dernier qui partent à la retraite, tandis que la soi-disant « génération la plus controversée de tous les temps » quitte progressivement l’adolescence et approche de la trentaine. La relation de la Gen Z avec le monde du travail n’est certainement pas simple, on pourrait même la qualifier de presque dysfonctionnelle. Que le travail de bureau ne convienne pas à tout le monde est désormais un fait établi, mais chez les jeunes, le rejet de certains modèles professionnels est de plus en plus marqué et évident. Si l’année dernière le phénomène du quiet quitting, c’est-à-dire l’acte de faire le strict minimum sans montrer d’enthousiasme ou d’implication, faisait fureur, cette année TikTok a introduit un nouveau terme, le task masking. En résumé, contraints de travailler en présentiel plutôt qu’à distance, les membres de la Gen Z ont commencé à faire semblant d’être occupés, évitant délibérément les tâches supplémentaires, presque comme une forme silencieuse de protestation. Fin 2024, un autre phénomène a émergé : le micro-retirement, c’est-à-dire la pratique consistant à prendre quelques semaines de pause tous les six mois. Les concepts qui circulent sur les réseaux sociaux à propos de la relation entre les jeunes et le travail prennent des formes de plus en plus étranges, au point que The Atlantic a consacré un article ironique à l’absurdité de ce langage. Au-delà des étiquettes, toutefois, le tableau général est plutôt clair : lorsqu’on parle des moins de 30 ans et du travail, la situation semble empirer. La question reste toujours la même : le problème vient-il du système de travail, de plus en plus éloigné des besoins réels des travailleurs, ou bien de la Gen Z, vraiment démotivée et peu engagée ?
Pour aggraver la situation, ces dernières semaines, la tendance qui domine la For You Page de TikTok est celle du Gen Z stare. Ce terme désigne le regard fixe et inexpressif typique de certains jeunes dans diverses situations sociales et professionnelles. Bien que de nombreux critiques rejettent cette expression comme un signe d’ennui, d’indifférence ou de supériorité, des experts et des sociologues suggèrent une interprétation plus profonde. Comme le souligne Forbes, cette expression ne représenterait pas un simple désintérêt, mais plutôt un mal-être plus vaste et significatif à l’égard de la culture professionnelle contemporaine. Une expression plate, presque zombie, souvent observée lors de réunions ou d’interactions quotidiennes, pourrait être la manifestation visible d’un fossé croissant dans la communication intergénérationnelle et d’un fort décalage entre les attentes des jeunes et la réalité des environnements de travail traditionnels. S’il est vrai que cette génération est souvent qualifiée d’opposante, difficile à gérer et prête à quitter un emploi si elle ne trouve pas un équilibre entre vie privée et professionnelle, peut-être que le “Gen Z stare”, plus qu’un phénomène viral sur TikTok, pourrait être le symptôme le plus évident d’une crise systémique.
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À ce propos, il y a quelques semaines, Dazed a publié un article expliquant que, pour aller à contre-courant du désespoir de la Gen Z, la seule solution serait de « décentrer » le travail de sa propre vie. Avec l’avènement de l’intelligence artificielle, la crise économique mondiale qui freine les embauches et un sentiment d’apathie générationnelle (« le monde touche à sa fin, pourquoi devrais-je me stresser pour un travail ? »), le travail pourrait simplement être quelque chose que l’on « fait » et non un objectif central dans la vie. Comme le raconte Dazed, « il est important de comprendre comment on est évalué dans un endroit où l’on échange temps, compétences, esprit et corps contre de l’argent ». Le sentiment est flagrant aussi sur les réseaux, où de nombreux jeunes soulignent que le travail n’est pas simplement une source d’épanouissement personnel, mais un contrat implicite qui échange quelque chose d’irremplaçable — son temps, sa santé — contre une rémunération souvent insuffisante pour garantir une indépendance économique. Une réflexion que l’on retrouve dans le livre *After Work* de Helen Hester et Nick Srnicek, où les auteurs expliquent que « nous sommes contraints de travailler sous la menace de la pauvreté, de la faim et de la perte de notre logement ». Il ne s’agit donc pas de “vocation”, mais de nécessité. Même lorsque le travail est plaisant, le temps et l’énergie qu’il demande peuvent facilement en annuler les aspects positifs.
i love my life i love drawing and being unemployed and eating and watching good mythical morning pic.twitter.com/mPpo0C1rKg
— average ponsuke enjoyer (@pibbleponsuke) July 6, 2025
Le rejet du monde professionnel a atteint un tel point que, ces derniers mois, une tendance presque nostalgique s’est répandue sur X autour de la « unemployed life ». Beaucoup soulignent en effet que la vie sans travail ne les rend pas seulement plus détendus, mais leur offre aussi le temps et l’espace de se consacrer à des loisirs, du sport et des activités difficilement compatibles avec une routine de bureau classique. Certains vont même jusqu’à plaisanter sur l’idée de démissionner juste pour profiter d’une vie de chômeur. Si cette tendance est ironique et volontairement légère, elle met de nouveau en évidence à quel point les nouvelles générations sont désormais éloignées et désenchantées face à l’idéal “corporate” dans lequel elles ont grandi. Un phénomène qui avait déjà commencé avec les Millennials, mais qui trouve un terrain parfaitement fertile chez la Gen Z. Les causes de cet éloignement croissant sont multiples : études ralenties ou interrompues à cause de la pandémie de Covid, entrée sur le marché du travail retardée par les récessions économiques, jusqu’à des opportunités de carrière drastiquement réduites par les tensions géopolitiques et guerres économiques constantes. Mais alors, est-ce vraiment si terrible de ne pas avoir de travail ? Après tout, déjà en 1984, les Smiths chantaient avec mélancolie « I was looking for a job - and then I found a job - and heaven knows I’m miserable now », mais la possibilité de vivre une vie idyllique consacrée à ses propres intérêts reste un luxe que peu peuvent se permettre.



























