Nous ne savons plus utiliser les moteurs de recherche à cause de l’IA

De plus en plus souvent, on se demande si l’utilisation des intelligences artificielles génératives ne commence pas, du moins en partie, à remplacer les moteurs de recherche traditionnels : une réflexion partagée par de nombreux experts du secteur technologique et au-delà. L’idée que les moteurs de recherche, tels que nous les connaissions jusqu’à présent, soient entrés dans une phase de crise – en particulier pour certaines catégories d’utilisateurs – a commencé à circuler fin 2022, peu après le lancement de ChatGPT par OpenAI. La crainte était qu’un nombre croissant d’utilisateurs s’habitue progressivement à chercher des informations directement via les chatbots, sans passer par Google, compromettant ainsi le modèle sur lequel repose une partie importante de l’écosystème web. Ce n’est pas un hasard si Google a perçu dès le départ cette possibilité comme une menace concrète pour son système de recherche et, par conséquent, pour la viabilité de son modèle économique. En réponse, l’entreprise a fortement investi dans le développement de technologies basées sur l’IA générative. Toutefois, la transition vers ce nouveau paradigme comporte d’importantes difficultés : d’une part, Google doit inévitablement continuer à soutenir et innover son moteur de recherche traditionnel, d’autre part, il est en quelque sorte contraint de courir après des entités comme OpenAI, qui proposent des modes d’interaction avec l’information complètement différents.

En y prêtant attention, en effet, la classique page de résultats de recherche de Google semble aujourd’hui appartenir à une époque révolue, liée à une structure du web principalement centrée sur des liens hypertextes. Les modèles d’intelligence artificielle les plus avancés sont désormais capables de dépasser cette logique, en recueillant des informations provenant de plusieurs sources et en les synthétisant sous forme de réponses directes. Un exemple concret en est donné par AI Overview, un système introduit par Google lui-même qui utilise l’intelligence artificielle pour générer des réponses à afficher en haut de page, avant les résultats organiques. Cette évolution a déjà eu un impact tangible sur le comportement des utilisateurs : une baisse de 30 pour cent des clics sur les résultats traditionnels a été observée, car de plus en plus de personnes trouvent les informations dont elles ont besoin directement au sein de AI Overview, sans devoir visiter d’autres sites. Un changement d’une telle ampleur a des répercussions importantes sur l’ensemble de l’économie du web, dont le trafic dépend en grande partie de la visibilité obtenue par les moteurs de recherche. Des portails de toutes sortes, des sites de commerce électronique aux médias d’information, s’appuient depuis des années sur des stratégies d’optimisation SEO pour améliorer leur positionnement dans les pages de résultats. Cependant, on ne sait plus clairement si ces techniques continueront à être réellement efficaces, étant donné que le point d’accès à l’information se déplace progressivement vers des systèmes automatisés capables de fournir des réponses sans intermédiaires.

Bien que cette approche ne soit pas totalement inédite, le fait que même Google soit en première ligne pour la promouvoir est significatif, compte tenu de sa position dominante dans le secteur de la recherche en ligne. L’an dernier, nous nous demandions si l’IA appliquée à la recherche sur le web n’était qu’une bulle : la réponse est, très probablement, non. Un autre projet de Google allant dans cette direction est AI Mode, une fonctionnalité qui intègre les capacités communicatives typiques des chatbots dans le moteur de recherche. Pour l’instant disponible uniquement aux États-Unis, l’outil permet aux utilisateurs d’interagir avec Google sous forme conversationnelle, en posant des questions et en recevant des explications comme dans un chat classique. Mais parallèlement aux moteurs de recherche remplacés par l’IA, une autre tendance se dessine – destinée à influencer tout autant l’interaction avec l’information sur le web : c’est le cas des agents IA, des outils capables d’exécuter des actions complexes de manière autonome au nom des utilisateurs. Ces systèmes peuvent, par exemple, créer une liste de courses et passer à la commande en ligne à partir d’une simple indication sur ce que l’on veut cuisiner – en plus de générer la recette correspondante. Dans ce contexte, Google a récemment présenté un projet expérimental appelé Project Mariner, qui semble aller exactement dans cette direction. Face à ces scénarios, il n’est pas surprenant que l’usage des moteurs de recherche traditionnels soit en perte de vitesse. Par exemple, en avril 2024 – pour la première fois en 22 ans – le nombre de recherches effectuées via Google sur Safari a enregistré une baisse. La même année, pour la première fois depuis 2015, la part de marché détenue par Google dans la recherche en ligne est tombée en dessous de 90 %. Tous ces signaux suggèrent que nous sommes face à un changement profond et structurel : sommes-nous définitivement au début d’une nouvelle phase de l’évolution d’Internet et de notre façon d’interagir avec les moteurs de recherche ?