Comment le Château Marmont est devenu le Château Marmont

Au croisement de Marmont Lane et de Sunset Boulevard se dresse le légendaire Chateau Marmont. C'est ce que le journaliste Stinson Carter a décrit comme «l'endroit sur Terre avec la plus haute concentration de personnalités iconiques, essentiellement un club privé pour célébrités». Son succès ne réside pas seulement dans le travail architectural soigné et les choix de décoration shabby chic, avec son jardin luxuriant, ses colonnes voûtées et ses toits en pente, mais dans la sensation d'accueil familial contenue dans ses murs, la simplicité de ses services et cet air parfois décadent. Tous ces éléments ont contribué à en faire un lieu historique sans égal, une légende où la réalité se mêle au vraisemblable. Les histoires autour du Chateau Marmont se répètent parfois, d'autres se contredisent. Comme celle des Led Zeppelin qui faisaient des courses de moto dans les couloirs, ou la chute de Jim Morrison d'une fenêtre, ou peut-être d'un balcon. Dans une danse subtile en mode peekaboo qui repose sur la règle tacite du « no photo » - qui a conduit à l'éviction de Jenn Hoffman pour avoir raconté sur Twitter une attitude inappropriée d'un invité – les événements du Chateau Marmont sont largement documentés par des images et vidéos dans les médias et tous, comme sur un plateau de cinéma, veulent en faire partie. Que ce soit comme protagoniste ou figurant.

L'histoire du Chateau Marmont commence lorsque, en 1926, l'avocat et promoteur immobilier Fred Horowitz acheta deux hectares de terrain dans une Hollywood en pleine expansion, à quelques kilomètres de Beverly Hills qui était déjà en train de devenir le quartier des stars. S'inspirant de certaines photos du Château d'Amboise, une des résidences de Marie Stuart dans la vallée de la Loire, Horowitz confia en 1929 à l'architecte Arnold Weitzman la construction de ce qui représentait alors le plus grand complexe d'appartements de la région. Haut de sept étages, le Chateau Marmont fut conçu pour être le premier bâtiment antisismique de Los Angeles. Les débuts furent difficiles et quelques mois après son ouverture, l'Amérique dut faire face au mardi noir d'octobre 1929 suite à l'effondrement de Wall Street qui déclencha les années de la Grande Dépression. Dans ce contexte, Horowitz fut contraint de vendre le château à Albert Smith, qui le transforma en hôtel légendaire qui, loin de la transitoire mode, s'est inscrit dans une vision collective légendaire. Les différents changements de propriétaire au fil du temps n'ont pas altéré l'authenticité du lieu, qui est rapidement devenu «la maison loin de la maison» pour les artistes, écrivains, célébrités et acteurs libres de s'exprimer loin du chaos jugé d'une Hollywood frénétique.

Dans les années 30, à La La Land, le Code Hays était entré en vigueur, une forme de censure imposée par les Studios hollywoodiens qui interdisait les relations interraciales, les scènes de sexe et de nudité dans les films. En dépit de cette loi stricte, loin des regards indiscrets, l'hôtel isolé «a accueilli une saga de gloire, d'intrigues et de déshonneur, sur fond de cycles tumultueux de déclins, de renouveaux et de réinventions», s'imposant au fil du temps comme une oasis isolée, une suspension du monde où donner libre cours à sa créativité et son imagination. Un refuge, avec ses murs épais et son personnel discret, parfait pour s'enregistrer et ne pas repartir tant qu'on n'était pas prêt à affronter la réalité. Les possibilités sont infinies dans la mecque bohémienne des célébrités, sur la liste A des endroits où s'isoler et faire une pause, peut-être après avoir fait la fête (comme ce fut le cas pour la fête organisée par Jay-Z et Beyoncé après la dernière cérémonie des Oscars dans le garage du bâtiment). Le Chateau Marmont est un espace fluide et imprégné d'énergie créative, et ce n'est pas un hasard si, entre les couloirs et les piscines, Sofia Coppola a tourné Somewhere, le film qui lui a valu le Lion d'Or à Venise.

Son histoire en tant que lieu de liberté pour les célébrités est immortalisée dans le Chateau Marmont Hollywood Handbook, un récit officiel de l'histoire de l'hôtel rédigé par le propriétaire, Andrè Balazs, qui rassemble les témoignages de ceux qui y ont séjourné, de Greta Garbo à Grace Kelly. Ce n'est pas seulement une île heureuse, mais aussi un théâtre des tragédies de l'industrie hollywoodienne. C'est ici, en 1982, que le chanteur de 33 ans John Belushi a été retrouvé mort dans sa chambre à la suite d'une overdose, et plus de vingt ans plus tard, en 2004, Helmut Newton a perdu le contrôle de sa voiture en sortant du garage du Chateau, se tuant dans l'accident. «Si vous devez vous mettre dans des ennuis, faites-le au Chateau Marmont» est devenue une phrase célèbre (prononcée par le producteur de cinéma Harry Cohn à Glenn Ford) et donne une représentation vivante d'un espace transitoire d'expérimentation pour ceux qui cherchent refuge loin du public et parfois de soi-même, une bulle où l'on peut échapper aux conséquences de ses actions. Comme dans l'anecdote racontée dans le livre The Castle on Sunset: Life, Death, Love, Art, and Scandal at Hollywood’s Chateau Marmont, selon laquelle Bette Davis, en 1958, s'endormit dans son bungalow avec une cigarette allumée et provoqua un incendie pour lequel Lou Jacobi dut la sauver et évacuer tout l'hôtel. Une légende de gloire, décadence, fantaisie et exclusivité qui prend vie entre le salon en velours, le bar près du hall, les chambres avec lumière tamisée et qui s'est inscrite dans un récit collectif qui n'a jamais perdu de son charme aux yeux de ceux qui y ont séjourné et de ceux qui l'imaginent.