
L'utopie de la collection Resort 2026 de The Row
Comment la marque repense le système des insta-défilés
12 Mars 2025
Que vous l'aimiez ou non—et nous ne parlons pas de tendances ou de quiet luxury—le choix de The Row d'interdire les photos aux invités pendant les défilés, leur fournissant uniquement un carnet pour prendre des notes sur les détails et les numéros des sorties, est bien une stratégie mais, en même temps, une invitation à réfléchir sur ce que sont devenues les semaines de la mode et sur ce qui nous intéresse réellement dans les vêtements. À l'ère des marques Instagram, The Row soulève une question cruciale : comment devrions-nous vivre les fashion weeks ? La réponse est non seulement comme des événements mondains — élément central des conventions de l'industrie créative — mais, surtout, comme des moments où les vêtements reprennent leur place au centre du discours. Nous avons déjà parlé, à plusieurs reprises, des éléments iconiques qui ont placé la marque new-yorkaise, fondée en 2006 par les jumelles Mary-Kate et Ashley Olsen, rapidement parmi les réalités les plus discutées des dix dernières années, ainsi que des avis contrastés générés par leurs choix radicaux de présentation. Avant de nous concentrer sur le dernier défilé Resort 2026, il est utile de souligner quelques éléments qui montrent comment ces choix sont une réplique des dynamiques typiques des débuts du système de la haute couture française, en ce qui concerne les présentations et les espaces de vente.
Si nous remontons d'un siècle, les présentations des couturiers se déroulaient dans des atmosphères raffinées et intimes, semblables à celles souhaitées par l'équipe de The Row, dans des salons avec peu d'invités, où l'on utilisait papier et stylo pour noter les détails et les numéros des sorties. Cela permettait à la presse de identifier les vêtements et d'illustrer les créations, car, bien que les appareils photo existaient, ils n'étaient pas encore assez rapides et maniables comme les téléphones d'aujourd'hui. Le seul moyen de noter rapidement les looks était par des esquisses rapides réalisées par des dessinateurs, et à travers des descriptions minutieuses. Les choix de retail rappellent aussi les tactiques visionnaires du siècle dernier, lorsque les vêtements devenaient l'un des nombreux moyens d'expression d'un designer. Un exemple emblématique est la maison-showroom de Paul Poiret, conçue également comme un lieu d'événements et de bals, construite en 1922 par l'architecte moderniste Robert Mallet-Stevens à 40 km de Paris. De même, en 2016, The Row, en collaboration avec Montalba Architects, a remporté le American Architecture Award pour sa maison-showroom à Los Angeles, un projet qui incarne le même esprit moderniste. Ces choix, bien qu'apparemment naïfs, nous racontent comment les jumelles cultivées veulent élever leur travail et souligner une connaissance historique qui ne peut que bénéficier à une marque et à un duo de designers qui ont toujours tout fait pour se défaire de l'image d'actrices adolescentes hollywoodiennes.
Mais revenons à nos moutons, comme cela se passe avant d'entrer au Berghain de Berlin, l'interdiction d'utiliser son téléphone et donc de pouvoir prendre des photos à poster immédiatement sur les réseaux sociaux est désormais une constante des défilés parisiens de The Row. Le 5 mars dernier, leur dernière présentation pour la Resort 2026 a eu lieu. Les silhouettes rappelaient certains pionniers d'un minimalisme avant-gardiste qui se situe à la fin des années 80 et au début des années 90, la référence aux assemblées iconiques de Martin Margiela est visible, tout comme le choix des cheveux couvrant le visage, des épaules et des jupes au genou. Le travail constant sur le layering, une constante de la marque, représente des corps qui ne veulent pas être vus mais qui veulent être imaginés. Les choix des matériaux nobles, comme le cachemire, sont toujours impeccables. Les photos publiées, bien qu'elles aient un côté vintage, font tout de même ressortir la très haute qualité des choix matériels. L'absence de chaussures et les rares accessoires sont une nouvelle déclaration de ceux qui savent habilement, et avec aisance, tourner une situation à leur avantage, presque pour dire que si toutes les marques réalisent des marges avec de nombreux accessoires, nous pouvons aussi les réduire pour une saison.
Mais ce qui mérite surtout une réflexion est le choix d'annuler les hiérarchies typiques des sièges pour la présentation, qui symbolisent depuis toujours la façon dont le pouvoir est géré et montré dans le monde de la mode. Dans ce show, si l'on arrivait en retard, on était obligé de rester debout, de s'asseoir par terre, ou de se faufiler entre les gens pour pouvoir assister. En annulant la convention qui place les figures ayant des positions importantes et une grande visibilité communicative au premier rang sur des sièges confortables et bien visibles, et les autres en deuxième ou même debout. Voilà, c'est l'un de ces gestes qui fait réfléchir et souligne l'intelligence et l'ironie cachées derrière cette réalité. En jetant un œil aux visages flous visibles en arrière-plan des photos publiées par la maison, on peut même voir Imran Amed, PDG et fondateur de Business of Fashion, debout, les épaules contre le mur, probablement en retard, et Cathy Horyn assise, les bras croisés, serrés contre elle, entourée de personnes assises par terre et d'autres presque allongées sur un canapé. Le message qui en ressort est celui d'un retour à une attention pour les objets. Et même le compte Instagram des jumelles ne se conforme pas à la rhétorique d'une marque de mode traditionnelle. Ici, plus que des promesses de visibilité et de célébrité, on respire une recherche de substance : intelligence, matériaux, silhouettes. La communication devient projet, elle se mêle à la forme même des vêtements, et bien que nous soyons conscients qu'il y ait une stratégie derrière, il y a quelque chose de précieux dans cet activisme et, paradoxalement, c'est grâce à deux célébrités que nous sommes invités à réfléchir à ces thèmes.