
Comment Red Bull 64 Bars redéfinit le rôle des banlieues avec Lacrim et Dat Boi Dee
De Chevilly-Larue au quartier napolitain de Santa Teresa, le rap n'a pas besoin de traducteur
12 Juin 2025
Malgré les nombreuses différences qui séparent la France et l’Italie, un fil rouge fort et résistant relie de manière inextricable Paris à Naples. De la banlieue de Chevilly-Larue jusqu’au quartier de Santa Teresa, en passant sous la Seine et jusqu’aux pieds du Vésuve, qu’il soit chanté dans la langue de Molière ou celle de Dante Alighieri, une chose (ou plutôt un style musical) met les Français et les Italiens d’accord: le rap. Les premiers à le confirmer sont Lacrim et Dat Boi Dee, respectivement issus de banlieues parisiennes et napolitaines. Deux rappeurs qui ont réussi à voir bien au-delà des murs de leurs quartiers de périphérie qui leur ont parfois semblé insurmontables, et les ont gravis pour toucher en plein cœur l’industrie du rap qu’ils ont tous deux profondément marquée. Ils ne se sont d’ailleurs pas limités à dépasser les frontières de leurs villes respectives, mais bien de leur pays tout entier, en décidant de collaborer dans une chanson empreinte de leurs origines, mais surtout de leur résilience, présentée par Red Bull 64 Bars. Pour mieux comprendre ce pont invisible mais pourtant bien réel entre le rap des banlieues de France et d’Italie, nous nous sommes entretenus avec les deux rappeurs, qui nous ont tous deux fait part d’un petit bout de leur histoire.
Le morceau chanté par Lacrim et produit par Dat Boi Dee est en effet un véritable melting pot musical. Écrit et chanté en français, l’italien arrive toutefois à s’immiscer dans la chanson à travers des mots, un refrain, et même des clins d'œil évidents au pays outre-Alpin. Lacrim nous explique que le lien qu’il entretient d’ailleurs avec l’Italie remonte à des années avant ce feat avec Dat Boi Dee. « Ma connexion avec l’Italie a commencé il y a longtemps. Quand j’étais jeune, je regardais beaucoup de films italiens, j’ai toujours aimé la culture italienne depuis mon plus jeune âge. Je mélange toujours ma façon de m’habiller, de vivre, de rapper avec la culture italienne. Si je n’étais pas français, je pense d’ailleurs que je serais italien » , explique-t-il. Son collègue né de l’autre côté de la frontière, pour sa part, ne mentionne pas de vacances en France ou de souvenirs liés à l'hexagone, pourtant le feat s’est fait de manière toute aussi naturelle pour lui aussi : « Il n’a pas été particulièrement difficile de produire un morceau écrit et chanté en français par un artiste non italien. Je crois que nous partageons les mêmes valeurs et cultures parce qu’inévitablement, le ghetto est ghetto partout. Nous sommes tous les deux partis du même point de départ. Peut-être que le voyage nous a menés dans des endroits différents du monde, mais au final, nous avons simplement raconté ce que nous avons vécu dans notre quartier, mais dans une langue différente. »
Le ghetto, la périphérie, leurs quartiers. Voilà le point commun qui lie Lacrim à Dat Boi Dee, même si ce point commun concerne deux villes et deux pays différents. « Les deux périphéries sont très similaires probablement parce que l’écart entre les riches et les pauvres y est très visible des deux côtés. Il existe une forme de stigmatisation : le centre-ville, plus luxueux et mis en valeur, contraste fortement avec les périphéries souvent laissées à l’abandon, livrées à elles-mêmes et à l’autogestion, pour ainsi dire, des personnes qui y vivent. Je pense qu’il n’y a pas de différences majeures : ce sont simplement des villes qui sont devenues des métropoles au fil du temps, mais qui ont un peu oublié les personnes vivant en périphérie » explique Dat Boi Dee. « Peut-être que ce dont nous, Napolitains, pouvons le plus nous inspirer de la scène française, c’est ce qu’elle représente en termes de patriotisme extrême, qui n’est pas exactement la même chose que l’identité. Certains français sont prêts à donner leur vie simplement pour ce qu’ils sont et ce qu’elles représentent. De la même manière, nous, Napolitains, le faisons aussi. Mais c’est toujours dommage de faire cette distinction entre Napolitain et Italien. Moi, je veux mettre Naples sur la carte de l’Italie. Ce patriotisme extrême manque aux Italiens, alors que nous, Napolitains, pouvons l’enseigner aux rappeurs français. Peut-être que c’est le fait d’avoir absorbé tout ce que chaque domination historique a laissé. Nous portons un héritage issu d’environ 90 % des peuples européens, intégré à notre ADN, et que nous exprimons presque toujours dans notre musique» continue-t-il.
Pourtant la France semble ne pas avoir de problème à s’inspirer de l’Italie. Chose que Lacrim fait dans sa chanson, en citant notamment le joueur de foot Francesco Totti ou encore le rappeur Napolitain Geolier. « J’ai rencontré Geolier en 2021, à une époque où il n’était pas aussi connu qu’aujourd’hui. Ensuite, j’ai vu comment il a évolué, et j’ai tout de suite eu du respect pour lui parce qu’il m’a rappelé moi à mes débuts. Quand j’ai vu tout le chemin qu’il avait parcouru, mon respect pour lui n’a fait que grandir. J’admire son attitude, la façon dont il gère sa carrière et le succès qu’il a aujourd’hui. » En ce qui concerne Totti, le respect est tout aussi présent. Tout comme le respect qu’il voue au sport, qu’il considère faire partie du même ensemble que le rap: « Je pense que c’est urbain, on vient des cités, comme beaucoup de jeunes, et on cherche tous une porte de sortie. Que ce soit par le foot, la boxe ou le rap. Tout est lié. Je jouais au foot quand j’étais petit et si je n’étais pas rappeur, je serais probablement footballeur. Pour beaucoup de jeunes garçons, c’est un rêve car cela veut dire sortir de la cité, aller au-delà de ses murs, faire quelque chose de grand. »
En parlant de jeunes générations, quand on leur a demandé quel conseil ils donneraient aux jeunes de cités qui veulent se faire une place dans la musique, leurs réponses respectives se rejoignent. « Ça va au-delà de la musique. Si tu as un rêve, ne l’abandonne pas, ne le lâche pas. Les rêves prennent vie en théorie quand on dort, mais quand tu te réveilles, tu dois en faire une réalité. Ce n’est pas quelque chose de difficile, c’est juste du travail acharné » répond Lacrim. Pour Dat Boi Dee, la notion de travail acharné et de ne pas abandonner est également primordiale. Pour lui, il faut surtout être prêt. « Prêt à l’idée qu’ils pourraient ne pas y arriver, et malgré cela, ne jamais abandonner. C’est sans doute l’essentiel.» conclut-il.