La dynamique du premier rang au fil du temps

Anna Wintour, Leonardo diCaprio, Kim Kardashian, Rihanna, Penélope Cruz jusqu’à la Reine Elizabeth II, les marques se battent pour avoir les têtes de l’industrie au premier rang. Il représente un microcosme de pouvoir, de prestige et de politique industrielle. Ces derniers ont bien changé au cours du temps et maintenant ce sont les invités qui créent l’événement. Historiquement réservé aux figures les plus influentes de l'industrie, le "front row" est devenu au fil des décennies un baromètre de l'évolution de la mode, de ses acteurs et de ses pratiques. Sous son air spontané et chaleureux, son organisation est bien réfléchie et peut rapporter gros si l’on s’y prend correctement. Mais comment le premier rang à évoluer au fil du temps ?

Le concept de premier rang comme nous le connaissons aujourd'hui a commencé à prendre forme dans les années 1970 en Europe. Avant cette période, les défilés de mode étaient des événements relativement intimes, souvent organisés dans les salons des maisons de couture comme Channel, Dior ou encore Balmain dont uniquement les acheteurs avaient accès dans un but purement professionnel. Puis au fil du temps, les défilés sont devenus de plus en plus des objets de communication avec l'arrivé de photographes, journalistes en 1947 après la seconde guerre mondiale qui serviront la publicité des marques et à reconstruire l'économie du marché. Avec l'expansion de l'industrie et l'arrivée des médias de masse, les défilés se sont transformés en spectacles grandioses accueillant  des célébrités, des rédacteurs en chef de haute volée, et des influenceurs, modifiant ainsi la dynamique et la perception de ces événements. Ces derniers les plus critiqués par leur manque d'expertise et légitimité nécessaire pour participer à des évènements centrés sur des aspects plus techniques ou artistiques de la mode.

Aujourd'hui, l'organisation des premiers rangs dans les défilés de mode est une opération qui requiert une planification méticuleuse. Les invitations sont stratégiquement attribuées pour maximiser l'exposition médiatique et renforcer les relations avec les acteurs clés de l'industrie. Les directeurs de communication des maisons de mode jouent un rôle crucial dans ce processus, utilisant des systèmes sophistiqués pour gérer les listes d'invités qui reflètent le statut social et professionnel. Les décisions concernant qui s'assoit où peuvent influencer les partenariats, les contrats de publicité, et même les carrières. Le dernier "front row" célèbre qui fit énormément parler, fut le défilé Haute Couture Schiaparelli au Petit Palais à Paris, le 23 janvier 2023. On retrouve Doja Cat en tête d’affiche habillé d’une robe rouge éclatante ornée de 30 000 cristaux swarovski conçu par la directrice créatif de la marque Daniel Roseberry et la célèbre Make-up artiste Pat Mcgrath. Aux côtés des actrices de renommée internationale Marisa Berenson, Diane Kruger, Rossy de Palma et célébrité américaine Kylie Jenner. Cette dernière partageant également la vedette avec la rappeuse, vêtu d’une robe en velour noir horné d’une fausse tête de lion.

 Elles partagent toutes les deux en avant première, des looks qui seront présentés durant les minutes qui suivent. Leurs arrivées théâtrales à intervalles différents, planifiées par la maison en amont, de manière à avoir les meilleurs photos et vidéo pour les photographes, journalistes, ainsi que les réseaux sociaux de la maison elle-même. Une fois assis, le défilé est presque lancé, et seuls quelques photographes, de magazines importants de l’industrie sont autorisés à prendre une photo des stars côtes à côtes. Les images sont par la suite relayées, par les célébrités et la maison en question, sur les réseaux sociaux (60M de vue pour 2 vidéos) par un accord conclu avec les marques exigeant un sérieux coût. On parle de 100 000$ par défilé pour des chanteuses comme Rihanna et Beyoncé. On aperçoit  également désormais des marques tels que "The Row", dirigé par les designers Ashley et Mary-Kate Oslen, exploiter leur communication de manière plus contrôlé, en demandant au public de ne pas prendre de photo durant leur dernier défilé Fall 2024 RTW. Initiative qui fera également beaucoup parlé et relayé par les médias, en pointant les influenceuses qui reçoivent des places au premier rang pour un simple post.

En conclusion, le "front row" des défilés de mode s'est métamorphosé d'un espace professionnel exclusivement réservé aux acheteurs et journalistes spécialisés en un véritable spectacle médiatique. Ce changement reflète l'évolution de l'industrie de la mode, où les célébrités et les influenceurs ont pris une place prépondérante, transformant ces événements en opportunités stratégiques pour la publicité et le placement de produit. Pour les éditeurs et les célébrités, ces places sont souvent perçues comme un signe de leur influence dans l'industrie. Cependant, cette compétition pour un siège au premier rang peut également révéler les dynamiques de pouvoir et parfois les inégalités présentes dans le monde de la mode. Avec l'avènement des réseaux sociaux et la démocratisation de la mode via des plateformes comme Instagram et TikTok, le premier rang a également dû s'adapter. Les influenceurs avec de grands suivis en ligne sont désormais des invités réguliers, capables d'amplifier la portée d'un défilé bien au-delà de l'enceinte de l'événement. Le cas du défilé Haute Couture Schiaparelli illustre parfaitement cette mutation, où la mise en scène et la planification sont conçues pour maximiser l'impact sur les réseaux sociaux et les médias. En parallèle, des marques comme "The Row" adoptent des approches contrôlées, restreignant la communication bâclé pour cultiver une aura d'exclusivité et d'appréciation du moment présent, soulignant ainsi les diverses stratégies que les maisons emploient pour naviguer dans ce paysage médiatique complexe. Le "front row" est devenu un reflet clair des tendances socioculturelles et économiques actuelles dans la mode, marquant à la fois un héritage de prestige et une plateforme de changement stratégique.