Quel est l'intérêt du bleu de travail aujourd'hui ?

Désormais, sur les portants de n'importe quel marché aux puces, on trouve d'énormes collections de vestes de travail. Avec l’arrivée du printemps, il est pratiquement impossible de se promener dans une foire de vêtements vintage sans tomber sur le bleu de travail. Le modèle de ce vêtement a fait le tour du monde ces dernières années, partant de la France fraîchement sortie de la révolution industrielle, pour atterrir, au vingtième siècle, dans les ateliers des artistes puis encore dans les armoires des Américains, des Italiens et de tous ceux qui aiment le vintage. Outre sa couleur, un bleu indigo vif pour cacher les taches, ses poches pratiques servant à transporter les outils, et sa coupe oversize, ce qui a fait du bleu de travail une icône intemporelle, c’est sa résistance – tant matérielle que symbolique. Il s’agit à tous égards d’un vêtement de la classe ouvrière, une veste portée par ceux qui n’avaient pas peur de se salir les mains à l’atelier comme dans la rue, lors des manifestations. C’est pourquoi, même si voir Harry Styles se promener dans les rues de Rome et de Londres en portant un modèle de bleu de travail est amusant, découvrir que des marques comme The Row se sont inspirées de sa silhouette pour créer des vestes à 1790 euros soulève quelques doutes sur le niveau de compréhension que la mode a des vêtements historiques.

The Row n’est pas la seule marque à avoir proposé une réinterprétation de la veste de travail française, mais leur positionnement tarifaire est certainement inégalable. Des marques comme Velasca, Polo Ralph Lauren et SS Daley (qui signe celle portée par M. Styles) ont créé d’autres éditions du bleu de travail, avec des prix tournant entre 300 et 700 euros. Pour suivre la tendance, Uniqlo en a fait une version plus abordable, tout comme évidemment Zara, Mango et tous les autres petits malins de la fast fashion. Toutefois, si dans le cas de SS Daley on pourrait dire que le bleu de travail s’inscrit dans l’imaginaire de la marque anglaise, puisqu’il s’agit d’une maison qui raconte à travers les vêtements la lutte des classes au Royaume-Uni, il devient un peu plus complexe d’essayer de trouver des points communs entre la garde-robe du prolétariat français et des marques comme The Row ou Polo Ralph Lauren, pour ne citer qu’elles. Justement parce que certaines marques ont tenté d’en réécrire la silhouette et l’esthétique, le design de la veste de travail française est en train de changer dans l’imaginaire collectif, comme c’est souvent le cas avec les tendances qui, au lieu de s’inspirer de l’histoire, finissent par la modifier.

Pour mieux comprendre quel bleu de travail est le plus proche de l’original – celui porté par les ouvriers français, délavé et taché, déchiré mais encore prêt à être utilisé – il suffit de regarder les articles de marques comme Le Mont St. Michel, active depuis 1913, ou de discuter avec des passionnés de vintage authentique. Selon la légende, le tissu doit être en moleskine, ou en toile plus rugueuse, 100 % coton et fabriqué en France ; les coutures doivent être solides et les boutons en métal ou en résine ; les poches sont généralement au nombre de trois, deux grandes et une plus petite sur la poitrine, et un col qui se ferme jusqu’au cou. Les étiquettes pourraient afficher des noms comme Adolphe Lafont, Le Mont Saint Michel ou Le Laboureur. Tout, de la coupe au design de chaque bouton – souvent invisible pour éviter de s’accrocher aux machines – fait du bleu de travail non seulement une icône de son époque, symbole de la révolution industrielle qui a accompagné des milliers de travailleurs tout au long de leur vie, mais aussi un classique indétrônable. C’est pourquoi de nombreuses marques s’approprient aujourd’hui son esthétique pour en créer une version plus moderne. Il n’y a rien de mal à s’inspirer de silhouettes d’autrefois – après tout, aujourd’hui le vintage est devenu une référence constante pour de nombreuses marques – mais il faut dire que considérer la veste de travail comme une tendance passagère, à porter une saison puis à cacher dans l’armoire ou pire, à jeter, contribue à effacer son histoire. Si nous aimons vraiment les vêtements vintage, nous ferions mieux de protéger leur héritage.