
La couture des années 90 de Saint Laurent n'a jamais été aussi désirable
Le spectre visible de la collection FW25 de la Maison
12 Mars 2025
Si les petits Yves Saint Laurent aux larges lunettes et en costumes cravates de la SS25 ne se sont plus présentés pour la collection FW25 de la marque français, l’hommage au pionnier de la Maison Saint Laurent, certes peut-être plus discret cette fois, était pourtant toujours présent hier à la Fashion Week de Paris. À travers 45 looks explorant le spectre de la lumière blanche, Anthony Vaccarello clôturait hier soir cet intense mois de la mode en donnant vie à une série de divas toutes plus volumineuses et colorées les unes que les autres, en amenant sur les podiums de Paris un peu de l’âme et beaucoup du patrimoine de la Maison dans laquelle il excelle en tant que directeur créatif depuis 2016. Dans un clin d’oeil discret mais bien placé aux collections haute couture des années 90 d’Yves Saint Laurent, alors considérées comme terriblement démodées par le grand public, Vaccarello ramène sur la scène fashion le trop, le flashy, presque le ringard, dans une démarche de révision et de mise au point de la mode et de ses tendances.
Les silhouettes de Vaccarello suivent un seul et même fil rouge qui se divise toutefois en deux catégories : les formes et les couleurs. Le premier modèle à apparaître, une robe orange à col roulé serrée à la taille par un nœud violet, annonce (littéralement) la couleur. Les 36 premiers looks qui se succèdent au rythme lent et vibrant de la musique sont en effet tous créés à partir de la même colonne vertébrale: les couleurs criardes, les épaules volumineuses, et les jupes qui descendent jusqu’au creux du genoux. La silhouette s’emballe au niveau des épaules et devient plus sage au fur et à mesure qu’elle s’approche de l’ourlet, formant ainsi comme un triangle qui se serait retrouvé la tête à l’envers malgré lui. La figure pyramidale est toutefois cassée chez chacun des looks par le biais de ceintures en cuir colorées ou de chemises rentrées dans une jupe à la taille marquée. On passe en un clin d'œil de l’orange corail au rose fuchsia, du vert sapin au bleu émeraude, du bleu électrique au violet améthyste sans que ce mélange multicolore ne nous donne le tournis, comme si un voile automnale et mélancolique avait adoucit la puissance de ses pigments. Dès la vingtième silhouette, la collection change de cap, et passe à une série de tenues elles aussi toutes reliées par un fil conducteur fin, mais solide. Les tons délaissent les vibrations estivales derrières eux pour prendre une tournure plus automnale, avec une palette de couleurs allant du beige au jaune moutarde en passant par un orange plus tranquille. Les imprimés font également leur première apparition, qu’ils soient léopard ou fleuris. S'en suit l'arrivée sur le podium d’autres protagonistes principaux du défilé : les vestes en cuir portées en guise de robes et serrées à la taille, et les robes en dentelles. Une série de trois looks, la robe délicate d’un bleu profond portée par Bella Hadid, une robe en cuir jaune et une robe en dentelle rouge nous rappellent inévitablement les couleurs de Mondrian, dont la collaboration avec Yves Saint Laurent aura donné vie à un modèle de robe trapèze considéré comme l’un des plus connus et iconiques de la maison française.
Dès que la robe rouge quitte le podium, arrive le troisième et dernier chapitre de la collection, qui vient chambouler nos extrapolations quant au reste de cette dernière. Ce volet final s’articule autour de silhouettes monochromes allant du marron foncé au brun noisette, les seules touches plus sombres de la collection qui y apportent équilibre, chaleur et réconfort. Au-delà d’amener du contraste aux premiers looks flashy qui nous rappellent quelque peu les robes de bal kitsch satinées des années 80, les neufs derniers looks de la collection entrent également en contraste avec eux-même, comme si le jour et la nuit se mélangeaient dans une seule et même tenue. Si la base de ces derniers looks est la même, c’est-à-dire une jupe ballon partant du milieu de la cuisse et descendant bien bas jusqu’à balayer le podium comme une robe de bal balayerait la piste de danse, le haut varie, passe de tops style nuisette au col bordé de dentelle aux cols roulés, parfois agrémentés d’une lourde veste en cuir toujours respectant le code couleur de ce segment final. Pas l’ombre d’un pantalon. Pas l’ombre d’un sac. Pas l’ombre d’un doute: la femme Saint Laurent est la plus cool de toutes, avec ses mains dans les poches et son blouson posé de manière nonchalante sur le dos.
Une nonchalance pas si nonchalante, mais bien recherchée par Anthony Vaccarello, qui explique que pour sa collection FW25, il voulait « quelque chose de propre, sans ornementation, sans décoration, sans... rien ». « Je voulais simplement pousser la silhouette dans ces couleurs saturées - c'est la plus grande quantité de couleurs que j'ai jamais faite - dans du satin lavé et du jersey technique, que je n'avais jamais utilisé auparavant, pour donner une impression d'élasticité. J'ai vraiment aimé cette idée d'élasticité, de mouvement - tout cela pour donner un sentiment de liberté. Il n'y a pas vraiment de structure ; les volumes viennent de la forme des vêtements et des tissus, et tout est léger.» a-t-il déclaré. Cette collection est un exercice stylistique consistant à lâcher prise afin de laisser les formes et les couleurs parler d’elle-même, sans tomber ni dans le ridicule, ni dans le trop, ni dans le déguisement. Elle est également un exercice de spontanéité et d'honnêteté pour Vaccarello. Honnêteté envers lui-même, envers son rôle de maître de la création, et envers l’industrie toute entière. Une honnêteté qui nous prend par les sentiments, fait ressortir les couleurs cachées en nous, et