L'histoire d'amour toxique entre la cigarette et les Français expliquée

Qu’il s’agisse du combo café/clope du matin, de la pause cigarette de milieu d’après-midi ou même de la taffe tirée en fin de repas accompagnée d’un bon verre de vin, la cigarette est omniprésente dans la vie des Français. On peut même dire que le fait de fumer est l’un des nombreux clichés du Français. Aucun doute quant au fait que si l’on demandait à un étranger de décrire un Français lambda, ce dernier serait dépeint en train de se plaindre, une vogue à la main et une baguette sous le bras. Ce n’est d’ailleurs pas une surprise que la photo d’Anthony Bourdain posé au soleil à une terrasse parisienne en compagnie d’une baguette, un café et un paquet de Marlboro soit très rapidement devenue un mème tant elle représente la culture parisienne. Mais d’où vient cette idée que les Français sont des fumeurs en série ? Est-ce un mythe, une idée préconçue par des Américains qui pensent que l’Europe est un seul et même pays ou bien une réalité alarmante ? 

Commençons par le commencement : d’où vient l’idée que les français fument comme des dragons ? Et bien elle vient de ses icônes, de ses stars qui dépassaient déjà la frontière française bien avant que les réseaux sociaux ne pointent le bout de leur nez et ne deviennent l’un des canaux informatifs les plus consultés. Parmi elles, on retrouve Jean-Paul Belmondo, Serge Gainsbourg, Brigitte Bardot, Catherine Deneuve, Alain Delon, ou encore Coco Chanel, toujours très chic vêtue de noir et blanc, complétant ses tenues par un élégant porte-cigarette en guise d'accessoire. Il était courant à l’époque de voir les célébrités fumer non seulement dans les films, mais aussi sur les plateaux télévisés, en intérieur, un peu partout si l’on y pense. A ce jour, il existe encore d'ailleurs une vidéo du président français Jacques Chirac fumant en plein milieu d’un débat politique transmis à la télévision. Mais revenons-en à nos acteurs. En effet, le cinéma est l’un des secteurs, si ce n’est le secteur, qui a le plus publicisé malgré lui la cigarette en France. Une étude menée par la Ligue contre le cancer, qui a analysé 150 films français sortis entre 2014 et 2019, démontre que le tabac est présent dans plus de 90% des films français. Il semblerait même que les Français fument plus sur grand écran que dans la vraie vie, avec 65% de films montrant un ou plusieurs fumeurs contre 25% de fumeurs quotidiens en France à l’époque. L’étude explique également que la présence du tabac dans les films est de 2,6 minutes en moyenne, soit l’équivalent de six spots publicitaires. 

Des données inquiétantes, sachant que le tabagisme reste encore aujourd'hui la principale cause de mortalité évitable en France, avec environ 75 000 décès par an. Et si autrefois ses victimes étaient presque exclusivement des hommes, le nombre de femmes décédées des suites du tabagisme a doublé entre 2000 et 2014, pour atteindre plus de 19 000. Des chiffres que l’on attribue à une génération de Françaises qui se seraient mises à fumer dans les années 70, probablement à la recherche d’un peu de liberté et de légèreté en ces années marquées par la sous-culture hippie. Toutefois, les dernières données collectées par les centres de recherches sont réjouissantes: non seulement le nombre de fumeurs en France est de plus en plus bas, mais les fumeurs sont surtout de moins en moins jeunes. Si les addictions de la Gen-Z française, comme celle aux réseaux sociaux et au doom scrolling, sont nombreuses, il semblerait donc fort heureusement que la cigarette n'en fasse pas partie, contrairement à leurs aînés les millenials et les boomers. En effet, en 2022, environ 16 % des jeunes de 17 ans fumaient tous les jours, contre 25 % cinq ans plus tôt.

De manière générale, si l’on en croit les chiffres du rapport de l’observatoire français des drogues et tendances addictives, sur les 51,2 millions de Français âgés entre 11 et 75 ans, 37 millions sont expérimentateurs de tabacs, avec 15 millions d’usagers dans l’année et 11 millions de consommateurs quotidien. Un chiffre élevé, certes, mais qui marque une nette amélioration et baisse par rapport à il y a quelques années. Que cette victoire soit à attribuer à l’augmentation du prix des cigarettes (avec certaines marques qui dépassent désormais la barre des 10€ le paquet), l’interdiction des campagnes publicitaires sur le tabac ou encore à la popularité toujours croissante des puffs (qui sont toutefois interdites elles aussi depuis février dernier), on retient une chose: la campagne anti-tabac conduite par la France porte ses fruits. Si Flaubert écrivait «Ah sans la pipe la vie serait aride, sans le cigare, elle serait incolore, sans la chique, elle serait intolé­rable », il vaut probablement mieux vivre une vie un peu plus aride et incolore qu’une vie prématurément abrégée.