
La nouvelle ligne de Maison Margiela n'a rien à voir avec la mode La maison a inauguré la ligne 2, axée sur l'art et les « produits immatériels »
Les chiffres, pour Maison Margiela, n’ont jamais été un détail secondaire. De 0 à 23, chacun correspond à une ligne précise : du 6 dédié au prêt-à-porter avec MM6, au 3 des parfums Replica, jusqu’au 0 réservé à la couture Artisanal. Pourtant, dans cette taxonomie rigoureuse, certains numéros restaient en suspens, jamais associés à une collection ou à une catégorie. Parmi eux, le 2 et le 9. Mais à partir d’aujourd’hui, la Maison a inauguré une nouvelle ligne, avec un nouveau numéro, qui a peu à voir avec la mode. La naissance de la nouvelle Ligne 2 marque un changement de perspective important pour la maison : il ne s’agit plus d’un produit physique, mais du lancement d’un programme de « produits intangibles », comme l’a défini le PDG Gaetano Sciuto auprès de Business of Fashion. Le lancement aura lieu le 3 septembre à Séoul, dans le flagship store de la marque, où sera présentée une installation conçue par l’artiste visuelle Heemin Chung avec le designer sonore Joyul, en coïncidence avec la foire internationale d’art contemporain Frieze. Une opération qui relie Margiela non seulement à la mode, mais aussi à un discours plus large de culture, d’art et d’expérimentation sensorielle, selon les mots de la maison.
« Intangible products, pour moi, signifie aller au-delà de l’achat : c’est une connexion, c’est une communauté », a expliqué Sciuto dans une interview à Business of Fashion. Ces propos clarifient l’intention de Margiela de transformer la Ligne 2 en un projet expérientiel, pensé non pas pour introduire un nouveau produit physique, mais pour créer des moments capables de renforcer la dimension identitaire de la marque. Cependant, au-delà de la rhétorique de la communauté, l’opération s’inscrit dans une dynamique déjà très répandue dans le secteur : l’hybridation entre mode et art comme terrain privilégié d’engagement. Il y a encore quelques années, les grandes maisons misaient sur des défilés grandioses dans des lieux spectaculaires, des ouvertures dans des villes stratégiques et des fashion tours répétés de capitale en capitale pour séduire la clientèle internationale. Aujourd’hui, la stratégie se déplace vers des expositions temporaires, des installations minutieusement conçues et inaugurées par des événements exclusifs, souvent accessibles sur réservation afin d’alimenter la FOMO du public. Il ne s’agit plus d’initiatives réservées à un cercle restreint de VIC et de célébrités, mais de formats capables d’intercepter cette clientèle aspirante qui, après des années de hausses de prix, avait été laissée de côté. En ce sens, l’exposition de Séoul, l’un des marchés clés de la marque, et plus généralement l’ouverture de la Ligne 2, apparaît comme le premier pas vers une nouvelle narration pour Margiela.
maison margiela seoul pic.twitter.com/v4V6BhRVet
— qlf (@xievmp) August 13, 2025
Le phénomène, toutefois, ne concerne pas uniquement la marque phare du groupe OTB. Dans des marchés comme la Chine, en 2024, on a recensé 192 expositions organisées par 48 marques de luxe. Des expositions qui n’ont pas seulement une fonction esthétique ou commémorative, mais qui représentent de véritables outils de relations publiques pour positionner les marques dans un contexte culturel plus large, souvent avec la participation d’artistes locaux ou d’artisans traditionnels. C’est une logique qui fonctionne : elle crée de la reconnaissance, génère un sentiment d’appartenance et renforce l’image des marques sur des marchés clés, en particulier en Asie de l’Est. La nouvelle ligne de Margiela n’est donc pas uniquement un geste révolutionnaire, mais plutôt un choix parfaitement aligné avec l’évolution du luxe contemporain, où l’expérience et la participation symbolique ont désormais remplacé l’achat et la fidélisation de la clientèle. L’art fait partie de l’ADN de la maison, certes, mais l’institution d’une ligne numérotée dédiée exclusivement aux « produits intangibles » ressemble davantage à une stratégie de positionnement qu’à une réelle innovation. Une tentative de s’inscrire dans un terrain déjà saturé, mais nécessaire pour rester pertinente dans un marché où la frontière entre mode et culture est devenue le nouveau champ de compétition. Plus qu’une révolution, cela ressemble à une normalisation — positive, certes, mais malgré tout canonique.

























