
Comment Martin Margiela a revolutionné la mode De la déconstruction aux tabis
Aujourd’hui, le roi incontesté de la mode Belge, de l’anonymat, de la déconstruction et de l’innovation fête ses 68 ans. Ineffable, invisible et inatteignable, Martin Margiela continue aujourd’hui encore de hanter les esprits et les vies des initiés de la mode, même 15 ans après avoir quitté la lumière de la sphère fashion de laquelle il se cachait déjà lors de sa carrière. De son poste d’assistant et bras droit de Jean Paul Gaultier en 1984 à la création de sa marque éponyme jusqu’à sa dévotion au monde de l’art aujourd’hui, le créateur ne cesse de prouver qu’il est capable de porter et d’assumer diverses casquettes, en prenant bien soin de ne jamais dévoiler le visage qui se cache sous la visière. Entre un égo sagement contenu, un amour pour la création qui passe bien avant le créateur et une fièvre innovatrice contagieuse, prenons l’excuse de cet anniversaire comme bon prétexte pour célébrer trois des nombreuses innovations que Martin Margiela apporta à la mode de Belgique, de France et d’ailleurs.
Une approche aux matériaux innovante
Dès ses premières collections, apparues entre 1989 et 1994, Martin Margiela se démarque par un rapport aux formes et au corps différent, mais surtout par un usage de matériaux que personne n’aurait pensé à intégrer dans la création de pièces de mode. À travers sa collection Artisanal, créée pour le printemps-été 2006, Martin Margiela offre une interprétation nouvelle de la haute couture traditionnelle en exploitant les qualités inhérentes des matériaux trouvés. À travers son savoir faire rigoureux et sa vision audacieuse, les vieilles matières et les objets oubliés se voient offrir une seconde vie en passant par les mains de Margiela. De vieux gants en cuir se transforment en un top élégant, des bouts d’assiettes en porcelaine se lient les uns aux autres pour devenir un gilet sans manche, des bouchons de champagne sont recyclés et pendent joliment au cou des modèles tandis que même les sacs en plastiques des moins glamour deviennent en un clin d’oeil d’élégantes pièces de haute couture. Et pourquoi se casser la tête pour relier le tout avec du fil soigneusement cousu quand on peut simplement rafistoler les différents morceaux ensemble avec du ruban adhésif ? Si cette liste d’exemple peut donner une idée de pièces DIY peu élégantes et pas du tout couture, à travers ces innovations textiles, Margiela a réussi à proposer à la mode une perspective nouvelle, un statut inédit, une identité inattendue. La mode de Martin Margiela est humble et retentissante à la fois, elle est grotesque mais minutieuse, complexe et pourtant si simple.
La déconstruction des silhouettes et l’esthétique de l'inachevé
Et en parlant de bout d’assiette et de morceaux collés ensemble ci et là, les matériaux utilisés par le pionnier de la Maison Margiela n’étaient pas les seuls à être explosés en milles morceaux pour mieux être réassemblés. Le créateur Belge a instauré dans la mode une esthétique du cassé, de l’estropié et de l’inachevé qui aujourd’hui encore se complait sur le dos des mannequins des marques de haut voltige du monde entier. Entre les pièces retournées, les doublures occultées, les bouts de tissus éventrés et les coutures exhibées, chez Martin Margiela, rien ne se cache, rien ne se perd, tout se transforme et tout se dévoile. Une chose officiellement confirmée par le designer, qui déclarait « Je m’en tiens à deux principes : ne pas cacher et ne pas miser sur la richesse ». En effet, les silhouettes de Margiela n’inspirent pas la richesse, elles inspirent l’authenticité, le vrai, celui tordu, que l’on laisse apparaître une fois qu’on est seuls et que l’on n’a plus peur d’être jugé. Cette déconstruction de soi et des attentes extérieures se retrouvent dans ses silhouettes aux coupes démantelées, insensées mais aussi dans un usage presque abusif du blanc et un rejet total de reconnaissance. Inspiré du travail de Marcel Duchamps, la déconstruction complète des pièces de Martin Margiela vise en réalité à décontextualiser sa mode, les conventions qu’elle est censée respecter et les prédictions qu’elle est censée rejoindre.
Les tabis
Si nous nous sommes jusqu’à présent étendus surtout sur les concepts et les innovations abstraites proposées par le couturier tout au long de sa carrière, il est temps de mettre en lumière une pièce, ou plutôt la pièce de Martin Margiela qui a révolutionné à son niveau la mode et ses chaussures: les tabis. Impossible de parler du travail du créateur belge sans mentionner la paire de chaussures au bout fendu, contenues en 2025 dans le dressing de n'importe quel fashion digne de ce nom. En 1988, à l’aube du premier défilé de la Maison, Martin Margiela, désireux de créer une chaussure inédite, s'inspire des travailleurs japonais et de leurs chaussures plates en coton, observées précédemment lors d’un voyage à Tokyo. Il revisite cette silhouette rappelant le sabot d’un animal en l’adaptant à une botte en cuir à talon bloc et, pour lui donner un twist original qui marquera les esprits, enduit les chaussures de peinture rouge afin que les mannequins laissent des empreintes fendues sur le podium. Cette mise en scène donnera au tabi la réputation de symbole de l’anti-mode, mais, jugées marginales, elles restent longtemps réservées aux adeptes de cette esthétique particulière, jusqu’à un regain d’intérêt en 2021, puis un véritable retour de flamme en septembre 2023 lorsqu’une story time sur un vol de tabis devient virale. Depuis, les tabi de Maison Margiela, déclinées en ballerines, Mary-Janes, mocassins et brogues, connaissent une popularité fulgurante, en tête des tendances selon la classification de Lyst.





































