Qui a vraiment besoin d’une valise de luxe ? Comment la mode veut conquérir la catégorie des bagages

Quand Louis Vuitton a été fondé, le nom de la marque comportait un mot de plus : mallettier, c’est-à-dire fabricant de malles. Même Prada, lorsqu’elle est née il y a plus d’un siècle, était spécialisée dans les malles, et on pourrait en dire autant de Gucci. Malles, coffres et sacs de voyage furent en effet les ancêtres des sacs à main modernes. Au fil des années, ce type d’activité est peut-être passé au second plan sans toutefois disparaître : dans les années 1980 et 1990, les valises Fendi et MCM marchaient très fort, tandis qu’au début des années 2000, Alexander McQueen collabora également avec Samsonite sur un set de valises à roulettes aujourd’hui devenues de très rares objets de collection.

Et maintenant, à une époque où les sacs se vendent de moins en moins, et où en général, entre les prix et la banalisation des produits, les ventes peinent à décoller, la mode, en se concentrant sur le segment encore profitable des ultra-riches, semble avoir redécouvert le potentiel de la bagagerie. Mais ces potentialités ne représentent pas seulement un effort d’expansion : comme le rapporte Vogue, elles sont de plus en plus demandées par des clients qui, voyageant toute l’année comme de véritables jet-setters, ont commencé à voir dans les valises une extension de leur garde-robe. Mais le boom des valises de luxe est-il vraiment concret ?

Des valises de luxe pour des voyages de luxe

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Comme le rapporte toujours Vogue, le marché mondial de la bagagerie a enregistré une hausse de 4,5 % en 2024, atteignant un chiffre d’affaires de 19 milliards de dollars. Cela est lié à la passion renouvelée pour les voyages et les expériences, certes, mais aussi aux dynamiques du tourisme de masse. À l’époque de l’overtourisme, des voyages accessibles à tous et des aéroports bondés, une valise de luxe est devenue un symbole de statut très particulier : on peut acheter un sac de luxe même d’occasion, mais aucun consommateur moyen n’investira jamais dans une valise extrêmement chère pour ensuite la voir jetée dans la soute d’un avion de ligne. Il s’agit vraiment d’un produit que seule la crème pourrait – et voudrait – acheter.

En somme, la bagagerie de luxe est destinée aux vrais riches. Il faut aussi ajouter que très souvent, lorsqu’il s’agit de marques de mode à proprement parler (et non de “spécialistes” de la valise comme Tumi, une marque historique en forte expansion appartenant à Samsonite), le public de référence est composé d’individus qui se déplacent avec de nombreux bagages vers des destinations de resorts façon White Lotus, où l’on ne peut certainement pas se présenter avec les valises cabossées que l’on voit sur les tapis roulants des aéroports.

En ce sens, la poussée des marques vers les valises de luxe illustre aussi comment, dans les dynamiques touristiques globales, il se produit une concentration de plus en plus marquée basée sur le pouvoir d’achat. Autrefois, le client du luxe et le touriste ordinaire pouvaient encore se croiser au cours d’un même voyage ; aujourd’hui, les deux segments évoluent dans des sphères si séparées que, pour les plus riches, on peut parler de véritables enclaves : des vaisseaux spatiaux aux trains de luxe, en passant même par notre Milan. Mais qu’ont fait les marques ces dernières années pour entrer dans ce marché riche mais restreint ?

Comment la mode veut conquérir le monde de la bagagerie

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Il suffirait de faire un tour dans les boutiques pour voir des marques comme Hermès, Chanel, Dior, Prada, Saint Laurent, Loewe, Balenciaga et Bottega Veneta non seulement proposer des lignes complètes de bagages mais aussi les promouvoir agressivement. Tout a commencé avec le boom des voyages post-pandémiques, mais ses racines remontent à 2016, lorsque LVMH a racheté Rimowa pour renforcer sa présence dans le travel haut de gamme, donnant le coup d’envoi de la “course”. Il fallut toutefois attendre 2019 pour voir Dior collaborer avec Rimowa, marquant l’entrée de la marque dans le segment de la bagagerie et ouvrant des pop-ups dédiés, comme celui de Harrods.

Mais pour le véritable essor de la scène, il fallut attendre l’après-pandémie. L’année 2022 fut une année importante pour Gucci, qui intensifia sa présence dans la bagagerie avec une campagne avec Ryan Gosling et l’inauguration du premier flagship store consacré exclusivement aux bagages à Paris, rue Saint-Honoré. Ensuite, en 2023, la dynamique continua avec la campagne Gucci mettant en scène Kendall Jenner et Bad Bunny arpentant un aéroport entourés de valises monogrammées.

L’année suivante, la collection Métiers d’Art 2024/25 de Chanel, présentée en Chine, mit l’accent sur une nouvelle grande valise et des sacs de voyage à effet froissé. Hors défilés, Prada intégra également des sacs de voyage dans ses campagnes Re-Nylon. Dans les deux cas, les marques produisent historiquement valises et sacs de voyage, mais l’attention accordée à cette catégorie témoigne de l’intérêt particulier qu’elle suscite. Balenciaga inclut également dans son défilé SS24 une valise déstructurée et modulaire, s’introduisant timidement dans le segment.

Cette année, Saint Laurent a commencé à vendre une valise Globe-Trotter en cuir, tandis que Bottega Veneta fit la promotion de ses valises à travers son ambassadeur Jacob Elordi, photographié dans une série d’images virales à l’aéroport de Melbourne avec trois valises en cuir, puis au Festival de Venise en août avec le trolley Odyssey. Elordi apparut ensuite dans la campagne "Going Places" de la marque avec deux sacs de voyage différents. Enfin, Louis Vuitton, en plus d’avoir introduit une nouvelle ligne Vintage Monogram Canvas, a également recréé cette année les valises du film À bord du Darjeeling Limited, les amenant sur le podium pour la collection SS26. Mais c’est depuis que Pharrell a pris la direction de la marque que les malles et grandes valises ont trouvé leur place sur les défilés.

Seulement des valises pour riches ?

Un aspect intéressant souligné par Vogue est que, même dans la bagagerie, comme dans la mode en général, on assiste à une nouvelle floraison du middle market, où de nouvelles marques innovantes se développent résolument dans un segment où les prix oscillent entre 400 et 800 dollars. Bien loin, donc, des milliers de dollars ou d’euros demandés par les marques de luxe traditionnelles. L’idée est que ces marques premium offrent, avec leurs valises, des accessoires réellement fonctionnels et élégants, à haute performance, avec un attrait différent par rapport aux marques de luxe.

Ces dernières années, un écosystème dynamique de marques similaires s’est formé. Il y a Away, née en 2015, qui, après avoir dépassé les deux cents millions de dollars de revenus, a été rachetée par Samsonite en 2023. En 2024, la marque britannique Antler a atteint 45 millions de livres de ventes mondiales, avec une croissance à deux chiffres par rapport aux années précédentes. Une autre marque, l’australienne July, a augmenté ses ventes de 400 % en trois ans grâce au marché américain, tandis que l’allemande Horizn Studios a levé un total cumulé de 38,1 millions de dollars de financements jusqu’en 2025.

Un terrain encore à conquérir

Ce qui rend le marché des valises si riche en potentiel, comme on le disait plus haut, c’est justement le fait que l’innovation en matière de matériaux et de fonctionnalités constitue, pour le public moyen, un investissement véritablement valable. Sans compter que selon UN Tourism, les arrivées touristiques internationales passeront de 1,5 milliard en 2025 à 1,8 milliard en 2030, soit une augmentation de 20 %. Des chiffres qui représentent, pour donner une échelle, 300 millions de voyageurs supplémentaires en cinq ans.

Et tous auront besoin, plus ou moins, de valises. Ce qui est intéressant, évidemment, c’est que dans le secteur de la bagagerie, le pouvoir du branding de mode (Rimowa mise à part, peut-être) est facilement éclipsé par les qualités fonctionnelles des valises que les marques premium les plus innovantes proposent. La conquête du marché des bagages pourrait donc ramener les marques de luxe à rivaliser avec des concurrents plus jeunes, plus agiles et plus solides qu’elles. Nous verrons comment cela évoluera.

Takeaways

- Les marques de luxe comme Louis Vuitton, Prada et Gucci ont des racines historiques dans la bagagerie, qui connaît aujourd’hui un boom grâce au focus sur les ultra-riches et au désir d’expériences de voyage post-pandémie, transformant les valises en symboles de statut fonctionnels.

- Le marché mondial de la bagagerie a enregistré +4,5 % en 2024, atteignant 19 milliards de dollars, stimulé par la passion des voyages et par le tourisme de masse, où les bagages premium distinguent les jet-setters des touristes ordinaires.

- L’expansion est évidente dans les stratégies des marques : du rachat de Rimowa par LVMH en 2016 aux collaborations comme Dior-Rimowa en 2019, jusqu’aux campagnes iconiques de Gucci avec Ryan Gosling et à l’ouverture de boutiques dédiées.

- Dans le segment middle market, des labels innovants comme Away, Antler, July et Horizn Studios croissent rapidement avec des prix entre 400 et 800 dollars, offrant des valises élégantes et performantes qui concurrencent les géants du luxe.

- Avec les projections d’UN Tourism de 1,8 milliard d’arrivées touristiques en 2030 (+300 millions par rapport à 2025), le marché des valises promet un terrain fertile pour l’innovation, mettant les marques traditionnelles au défi de rivaliser avec des concurrents plus agiles.

 

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©2025 journal nss magazine enregistré auprès du tribunal de Milan. Aut. n° 77 du 13/5/2022