
Le grand retour des jupes conservatrices Bien plus qu’une question d'ourlets
Dans les années 1960, la révolution passait par le bord des jupes, notamment celles très courtes de Mary Quant qui les transforma en symbole d’autodétermination et de liberté sexuelle. Pourtant, dans une culture de plus en plus libérée, mais encore soumise aux reflux du conservatisme, les choses changent : sur les podiums des récentes fashion weeks, la minijupe recule, tandis que l’ourlet s’allonge. De nombreux créateurs ont proposé dans leurs collections des robes et, en particulier, des tailleurs avec des jupes sous le genou, certaines même jusqu’aux chevilles, plus structurées et austères. Si Charli XCX a opté pour une jupe jusqu’au genou lors de sa dernière session de shopping chez Nordic Poetry et si Kylie Jenner a rangé ses microskirts moulantes au fond de son dressing pour laisser place à des longuettes à la Miu Miu qu’elle porte dans la dernière campagne de la marque, que se passe-t-il avec la minijupe ?
Des jupes sobres et modestes ont dominé la dernière saison de défilés. Pour Calvin Klein et Stella McCartney, le tailleur jupe de bureau est l’incarnation du sexy ; chez Coach et Loro Piana, les jupes plissées en laine sont monacales, coupées sous le mollet, Rick Owens propose dans sa FW25 sa version de la longuette gothique et déchirée et même Anthony Vaccarello dans la dernière collection hiver pour Saint Laurent abandonne le nude look en proposant des jupes crayon associées à des chemisiers à col montant. Parfois l’ourlet est tellement long qu’il effleure la piste. Dans la Pre-Fall 2025 de Balenciaga, les maxijupes sont les nouveaux joggings, associées à des sweats et blousons techniques ; chez Ann Demeulemeester et Chloé, les jupes bohèmes dominent : chez la première façon sorcière Stevie Nicks, fabriquées en lambeaux de chiffon et de cuir, et chez la seconde plus romantiques et d’inspiration vintage. La longuette a également conquis des marques de niche de la mode parisienne : Auralee fait défiler des jupes à carreaux et suédées tandis que chez Lemaire, on trouve des jupes ballon fusionnées à des collants opaques. Certaines maisons de Haute Couture semblent elles aussi avoir adopté cette féminité plus austère. Chez Schiaparelli, Daniel Roseberry a proposé dans son dernier défilé haute couture sa version du tailleur “hard chic” datant de la collection de 1931 intitulée “Wooden Soldier”, de même chez Chanel ne manquent pas des jupes midi accompagnées de cuissardes. Le retour de la longuette se lit également dans la fascination des marques pour certaines silhouettes historiques.
Chez Gucci, on trouve des ensembles rétro façon Jackie Kennedy tandis que chez Fendi on regarde vers le passé avec des jupes sous le mollet évoquant le classique garde‑robe des femmes de la haute société romaine. À ce propos, certains stylistes puisent dans les années 1950 les jupes circulaires : Celine et Valentino en proposent une version à pois tandis que Jacquemus rend la circle skirt partie de son uniforme paysan. D’autres, comme Miu Miu, ont fait de la jupe bourgeoise sous le genou leur toile de fond et leur marque de fabrique – un vêtement toujours saboté avec ironie dans les classiques ensembles de “sciura”, déstructurés avec des détails inattendus et perturbants comme des vestes boutonnées de façon aléatoire et des jupes froissées. Même les marques connues pour une femme plus désinvolte et sexy ont succombé à la sobriété de la longuette. Dans la collection SS25 de Versace, on trouve des jupes en denim ou en maille métallique sous le genou, tandis que Dolce&Gabbana, dans leur défilé printemps‑été, n’ont pas hésité à proposer des robes tubino plus “sévères”, discrètes et moins audacieuses que d’habitude. La mode masculine n’a pas été épargnée par ce changement de longueur. Comme des Garçons Homme Plus réalise une “version jupe” déstructurée des pantalons cargo et Andreas Kronthaler chez Vivienne Westwood reste fidèle à la jupe genderless parfois longue et asymétrique, parfois typique kilt.
Au-delà de la célèbre théorie de l’Hemline Index, corrélant la longueur des jupes aux cycles de crise des marchés, les ourlets qui s’allongent aujourd’hui semblent aussi être un signe du climat conservateur qui gagne l’agenda des gouvernements internationaux. La remontée politique des idéologies traditionalistes conduit à une revalorisation positive des rôles et des uniformes sociaux plus modestes et conformistes, ainsi qu’à la redécouverte d’une élégance plus délibérément classique. Par ailleurs, la réintroduction de la jupe “discrète” peut être considérée comme conséquence de l’essor du modest fashion, esthétique qui se pose en réponse critique aux idéaux de beauté uniformisés et à l’hypersexualisation du corps féminin, et qui, grâce à des formes standardisées, découpes larges et silhouettes allongées, propose une garde-robe plus “sécurisée” tant en termes d’inclusivité que de polyvalence commerciale, représentant diverses identités culturelles, corporelles et religieuses. Surtout à ce niveau, la présence de jupes plus longues sur les podiums pourrait aussi être une stratégie des marques pour séduire les marchés internationaux qui n’apprécient pas les jambes ou la peau exposées. L’allongement des ourlets, bien plus qu’une question politique ou culturelle, répond à des enjeux commerciaux et démographiques : une clientèle vieillissante, un consommateur plus prudent, des marques préférant vendre de manière sûre. Les mini-jupes, pourtant, persistent surtout dans la rue plutôt que dans les collections récentes, confirmant le faible dialogue entre les nouvelles générations et le système de la mode, qui s’adresse aujourd’hui surtout à un public pragmatique, intéressé par des pièces fonctionnelles plutôt que des provocations de podium.









































