
Louis Vuitton rêve de l’Inde pour la collection SS26 Couture décontractée, bijoux détaillés, couleurs chaudes et vêtements éclairés par le soleil ont dominé cette saison
Dans la mode, un préjugé revient souvent : une marque très populaire, très grand public et très centrée sur le logo et sur le produit ne peut pas être vraiment perçue comme cool par les initiés de l'industrie. Pourtant, dans toute sa gloire mainstream, le Louis Vuitton de Pharrell est la preuve que ce préjugé est erroné. Arrivé à sa neuvième collection pour la plus grande et la plus rentable marque de luxe au monde, Pharrell a clarifié sa méthode de travail : un grand macro-thème saisonnier, une excellente musique, un savoir-faire raffiné manifesté dans l’abondance vive de détails et décorations et, enfin, un style de garde-robe masculine très archétypal, très reconnaissable mais aussi incroyablement en phase avec l’époque. On ressent une sorte de vocation œcuménique dans ces collections qui, loin de transgresser ou de bouleverser les canons, semblent être l’expression d’une nouvelle culture de l’habillement masculin qui peut accueillir des hommes de tout âge ou origine – ce sont des looks d’une immédiateté et d’une portabilité absolues et sont, au fond, aussi la traduction la plus claire et soignée de la manière dont les hommes s’habillent aujourd’hui, ce style que l’on pourrait définir comme "brocore" qui serait en fait le style nippo-américain connu sous le nom de City Boy avec quelques touches supplémentaires de vibe hip-hop. Quoi qu’il en soit, le thème de cette saison était l’Inde – non pas tant en termes de modèles et silhouettes mais en termes de couleurs, matériaux et travail. Le résultat fut une collection aux couleurs chaudes, riche en douceur et en équilibre dans laquelle on a trouvé aussi une délicieuse réinterprétation des décorations créées justement par Louis Vuitton pour le film A bord du Darjeeling Limited de Wes Anderson – peut-être l’un des ensembles de bagages les plus célèbres de l’histoire du cinéma récent.
Le plat présenté par Pharrell hier soir était donc très riche. La taille était classique mais décontractée, avec des vestes et des pantalons taillés dans des mélanges de laine ultra-légère et des tissus bruts en cachemire-soie-laine ou cachemire-vigogne. On a vu revenir des épaules souples, une taille relâchée et des proportions allongées que Pharrell favorise désormais, tandis que plusieurs vestes et blazers étaient terminés par des bandes latérales style smoking et des bords brodés de micro-perles ou des cols en dentelle de cérémonie. Sous les costumes abondaient des chemises, déboutonnées comme sous la chaleur torride de New Delhi, souvent à rayures, et dans certains cas composées de soie fil-coupé avec des motifs en relief ou d’autres imprimées avec des carreaux érodés ou des rayures délavées par le soleil imitant les enseignes peintes à la main de l’Inde. Abondaient aussi les vestes très courtes et toute une série de vêtements d’extérieur en vérité très hivernaux mais non moins vifs tandis que plus remarquables étaient les pièces en denim, toutes délavées et usées avec art, dont certaines avaient reçu un lavage brun, inspiré par les grains de café, présent dans le tissu faisant ressortir au fil du temps les fils blancs. Ici aussi on ne pouvait manquer la tendance de saison, à savoir le pyjama en soie rayé et les cotons délavés, avec de nombreux motifs à rayures rendus dans des palettes décolorées de bleu marine, safran, lilas et beige pastel. On y retrouvait également des pièces en trompe-l’œil où des fils ultra-fins reproduisaient la texture et l’apparence de tissus bruts mais aussi un ensemble en fil métallique brillant et une veste style bandhgala. Enfin, beaucoup de pièces étaient assorties à des chaussettes torsadées ou avec inserts en dentelle, cravates perlées et bandanas en mélanges cachemire-soie brodés à la main. Des ceintures avec brides en cuir vieilli réversibles et fermetures à crochets style "frog" inspirées des bagages d’époque.
Saison après saison, le Louis Vuitton de Pharrell prend une forme de plus en plus propre. On a la nette sensation d’avoir devant soi une marque qui a optimisé la méthode mise en œuvre par Kim Jones avec Dior, à savoir celle d’avoir un directeur créatif agissant comme coordinateur général pour toute une équipe de créatifs différents, tous alignés et hyper-spécialisés dans leur domaine. Un type de créativité diffuse qui garantit continuité et cohérence, sans aucun doute, mais sans que la figure du directeur créatif n’éclipse le reste de l’équipe par sa présence – ce sont des collections qui ne vivent pas dans l’ombre de leur créateur mais expriment une approche de l’excellence et du luxe dont le but est plus universel que saisonnier. Une chose que beaucoup de marques essaient de faire aujourd’hui de manière convaincante, tentant de dissimuler leur tendance à produire des garde-robes logotypées, mais qu’elles essaient de masquer derrière de fumeuses déclarations pseudo-intellectuelles sans posséder véritablement le cool nécessaire. Malgré son hyper-littéralité, Pharrell renonce à toute prétention conceptuelle ou surstructure intellectuelle : il n’y a pas de symbolismes cachés, de provocations forcées ou de messages cryptiques. Seulement des vêtements beaux, frais, désirables, à porter immédiatement. C’est justement cette immédiateté élégante et sans prétention qui rend la marque plus accessible, cool et authentique. Aucune pose, seulement du style.

































































































