La mode en a-t-elle finalement marre des maillots de football ?

Il fut un temps où le maillot de football était un signe indiscutable d’amour pour le sport et l’équipe qu’il représentait. Dans de nombreux sports, le maillot, porté par des non-athlètes, était non seulement un moyen d’afficher son allégeance à un club, mais aussi un symbole d’appartenance à un moment culturel. Ce n’est un secret pour personne : le maillot a depuis été emporté dans une vague de tendance, devenant un incontournable du street style porté par des non-fans attirés par son attrait esthétique. Et bien qu’il n’y ait rien de fondamentalement mauvais à cela, voir ce qui était autrefois un symbole de loyauté de club élevé à des sorties haut de gamme par des marques comme Balenciaga et Wales Bonner, pour ensuite être dilué dans des contrefaçons sans fin de la fast fashion, il est juste de se demander : le monde de la mode a-t-il finalement épuisé le maillot de football ? L’esthétique du maillot sportif a connu son heure de gloire, dominant les moodboards Instagram, les premiers rangs des fashion weeks et même les défilés de luxe pendant quelques années, mais comme beaucoup de tendances, elle semble aujourd’hui fatiguée et surexploitée.

Un aspect intéressant du maillot dans la mode résidait dans son style, souvent associé à des pièces qui n’y étaient pas traditionnellement liées. Étant un vêtement de sport, le combiner avec un jean, un short en jean, une jupe ou des talons rendait le look sophistiqué et inattendu. Son ascension dans la mode remonte aux collaborations acclamées entre Wales Bonner et Adidas, ainsi qu’aux hommages de Martine Rose à la culture des tribunes des années 1990. Même les maillots de clubs d’archives, comme celui iconique de la France 1998 porté par Zidane, sont devenus des pièces cultes, désormais vendues à prix élevés sur les plateformes de revente et présentes dans des boutiques vintage sélectionnées de Melbourne à Paris. En 2025, le maillot est devenu un phénomène culturel, ne se limitant plus aux fans. Sur les réseaux sociaux, les maillots rétro sont portés avec des queues de cheval lissées, transformant le maillot en marqueur de maîtrise des tendances. Selon The Iconic, les ventes de maillots « fashion » ont augmenté de plus de 328 % d’une année sur l’autre. Depop a rapporté une hausse de 294 % des recherches de maillots pendant l’Euro 2024, et StockX a vu une augmentation de 68 % des ventes de maillots de football, notamment pour les collections comme Palace x Umbro. Mais avec une telle dynamique mainstream vient une saturation inévitable. À l’image de l’esthétique skateur autrefois dominante, ensuite récupérée par tous les grands distributeurs et réduite à des t-shirts graphiques standard et jeans oversize, le maillot de football court aujourd’hui le même risque.

En parallèle, et sans grande surprise, les femmes semblent être à l’avant-garde de la tendance du maillot, alors que le poids commercial du football féminin est devenu impossible à ignorer. Selon Drapers, pendant la Coupe du Monde de décembre 2022, les ventes de produits dérivés de l’équipe féminine anglaise ont augmenté de 710 % en demi-finale, dépassant largement la hausse de 412 % enregistrée pendant leur demi-finale à l’Euro féminin de l’UEFA en juillet 2022. Les recherches Google pour “Lionesses kit” ont bondi de près de 4 000 % pendant le tournoi, soulignant une fois de plus l’élan culturel que connaît le football féminin. Pourtant, ce moment n’a pas été exempt de faux pas. Nike a essuyé des critiques pour ne pas avoir rendu disponible le maillot de gardienne d’Earps, rappelant brutalement que la représentation des femmes dans le sport, même à son apogée de visibilité, peine encore à atteindre l’égalité totale. Bien que la tendance du maillot dans le streetwear grand public et auprès des non-fans ait peut-être atteint son apogée, son impact culturel reste indéniable. La présence du maillot dans la mode a attiré de nouveaux publics, suscité l’intérêt, stimulé les ventes de produits dérivés et renforcé la visibilité du sport lui-même. Porté ironiquement sur les podiums ou sincèrement dans les tribunes, le maillot est devenu un phénomène culturel. Mais comme tout vêtement happé par le cycle des tendances, il risque de perdre sa valeur s’il est trop déconnecté de son contexte. Pour survivre, le maillot doit revenir à ses racines, que ce soit dans les tribunes, sur le terrain ou dans les archives de quelqu’un qui connaît vraiment la France 1998.

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