L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français

Qu'il vous évoque le couvercle de votre confiture Bonne Maman préférée, l’esthétique à la Brigitte Bardot, le tablier de votre tante adorée ou encore la nappe d'un picnic aux saveurs de l’été, la vision de l'imprimé vichy est toujours de bonne augure. Du rouge classique au rose plus doux en passant par le bleu ciel et le noir contrastant, les petits carreaux blancs et colorés du vichy concentrent en eux douceur, tendre nostalgie, mais surtout grand patrimoine historique. Tout commence en 1860 : la station d’eau thermale de Vichy connaît une popularité florissante, en partie grâce à l’élite parisienne qui côtoie ses eaux pour leurs vertus apaisantes. Mais un visiteur bien particulier va bousculer le destin de cette petite ville de la France centrale : Napoléon III, venu accompagné de l’Impératrice Eugénie, trend-setteuse avant l’heure, qui dictait malgré elle la mode à Paris, en France et dans le reste de l’Europe. Séduit par la qualité du tissu, le couple repartira chargé de malles remplies du textile à carreaux. Avec l’aide de la révolution industrielle et la mécanisation de sa production déjà très peu coûteuse, le vichy gagnera très vite en popularité, et en commandes. 

L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569162
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569164
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569166
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569165
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569163

Et pour cause : grâce à sa fabrication selon la technique du “tissé-teint”, alternant les fils blancs et colorés, le tissu en vichy est doté d’une qualité mais aussi d’une durabilité exceptionnelles. Des attributs qui lui offriront la possibilité d’être décliné dans toutes ses formes : du tablier sur lequel les taches deviennent invisibles à la nappe qui résistera à tous les dîners du monde, même les plus festifs et les plus salissants, en passant par les robes et vêtements du dimanche. Si le vichy et ses carreaux en demi-teinte représentent en Indonésie le dualisme, le contraste entre le bien et le mal, et la spiritualité au Japon, en France et dans le monde entier, il incarne globalement la voie de l’équilibre. Pourtant, dans la littérature, le vichy revêt une signification bien différente : il symbolise des thèmes comme l’innocence et la jeunesse. Deux aspects que le tissu représentera également au cinéma, notamment dans Le Magicien d’Oz, réalisé par Victor Fleming en 1939, dans lequel la robe/tablier en vichy bleu ciel de Dorothy Gale interprétée par Judy Garland marquera l'histoire du vichy mais aussi du cinéma et de ses costumes. La légende raconte d'ailleurs que la fameuse robe aurait été perdue pendant plusieurs décennies, cachée dans une boîte destinée à être jetée. C'est seulement en 2015 qu'elle sera retrouvée et vendue aux enchères pour la modique somme de 1,47 million d’euros. L’essence du motif représenté sur grand écran changera toutefois dès l’année suivant la sortie du Magicien d'Oz, avec Katharine Hepburn et son personnage de Tracy Lord dans The Philadelphia Story de George Cukor, qui porte le vichy sous forme d’ensemble ceinturé à la taille et l’élève à un niveau plus sensuel, résolument plus féminin et décidément moins enfantin. Une énergie que reprendront Lauren Bacall et son tailleur en vichy élégant dans Le Port de l’angoisse par Howard Hawks, qui sortira en 1944. 

L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569135
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569147
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569136

Mais l’apothéose du succès, le prime du vichy, n’arrivera pas avant les années 50, grâce à la hit girl originelle, qui en plus d’avoir inventé les ballerines et rendu populaire la marinière, a également marqué l’histoire du tissu à carreaux : Brigitte Bardot. En 1953, elle fait la couverture du magazine Elle France vêtue d’une robe en vichy rose clair qui ne passera pas inaperçue. Une robe qu'elle porte à nouveau pour son mariage avec Jacques Charrier en 1959, portant officiellement le vichy au rang de must-have de toute garde-robe digne de ce nom. Un statut qui sera confirmé toujours par l’actrice dans Voulez-vous danser avec moi? de Michel Boisrond, sorti en 1959, dans lequel elle porte une sublime jupe bouffante décorée de petits carreaux bleus. La tendance ne se limitera bien sûr pas aux frontières de la France, mais s’étendra dans le monde entier, notamment jusqu’au dressing de Marylin Monroe, Lady Diana ou encore de David Bowie

L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569161
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569144
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569146
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569145
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569160
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569137

Dans les années 90, le vichy obtient ses lettres de noblesse et entre officiellement dans le langage visuel de la mode de haut vol grâce à Azzedine Alaïa. Après être tombé sur une enseigne du magasin Tati, qui depuis 1948 présente les quatre lettres de son nom sur un fond en vichy rose, Alaïa articule sa collection SS91 autour du vichy. Décline en grand, en petit, en rose, en noir, c'est la première fois dans l’histoire de la mode qu’une enseigne bon marché est assimilée à une grande maison de mode. Un petit pas pour la mode, un énorme pas pour le vichy, qui se fera de plus en plus présent sur les podiums des Fashion Week. En 1997, c’est la reine japonaise Rei Kawakubo qui le réinvente dans sa collection Lumps and Bumps, dans laquelle le vichy est proposé sur des silhouettes aux arrondis futuristes, aux formes improbables et à la palette de couleurs diversifiée et intéressante. Une dizaine d’années plus tard, Miuccia Prada décline à sa sauce le vichy elle aussi dans la FW13 de Prada, une collection à l’esthétique années 60 modernisée dans laquelle les petits carreaux passent d’une cape bleue et rouge à un ensemble cintré à la taille orange et vert. 

L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569142
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569174
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569175
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569138
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569139
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569140
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569153
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569155
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569154
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569156
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569157
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569159
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569158
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569152
L'incroyable naïveté de l'imprimé vichy Histoire du motif français | Image 569150

La même année, Celine, sous l’égide de Phoebe Philo propose également quatre looks en vichy, inspirés des sacs en plastique à carreaux bleus, blancs et roses du fameux magasin Tati susmentionné, massivement utilisé par les habitants du quartier de Barbès de Paris, et plus largement par les communautés immigrées, rappelant les origines populaires et du vichy, mais surtout le fait qu'il appartient à tout le monde. Pendant ce temps, Louis Vuitton décline dans sa collection printemps-été une version pastel du vichy, douce, apaisante, équilibrée. Quelques années plus tard, Maria Grazia Chiuri dans sa FW20 pour Dior présente ses guerrières féministes parées de vichy, tandis que Givenchy le décline contemporainement sur des trenchs élégants. Finalement, en 2023, Vetements prend possession des anciens locaux du Tati pour y présenter sa collection SS23, rendant hommage lui aussi à ses fameux cabas. Du torchon à la haute couture, des emballages de charcuterie aux sacs Louis Vuitton, le vichy a fait un sacré chemin. Un chemin qui s’annonce encore long et prospère, car à travers ses carreaux intemporels, il continue de raconter une histoire d'équilibre et de renouveau, se réinventant sans cesse pour épouser les formes de l'avenir tout en portant en lui la douce nostalgie de ses origines.

nss magazine srls - P.IVA 12275110968
©2025 journal nss magazine enregistré auprès du tribunal de Milan. Aut. n° 77 du 13/5/2022