Les cuissardes reviendront-elles jamais à la mode ? Les bottes au-dessus du genou à mi-chemin entre countryside et sexside

Dans une scène culte du Diable s'habille en Prada, Andy Sachs entre dans les bureaux de Runway avec une démarche au ralenti digne de Naomi Campbell et se montre à ses collègues Emily et Serena après sa transformation d’une stagiaire maladroite en héritière glamour. Avec une expression incrédule et émerveillée, Emily dit : « Tu portes… » et Andy sans hésitation, tout en croisant élégamment les jambes sous le bureau, répond : « Oui, ce sont les bottes Chanel. » Eh bien, ce ne sont pas de simples bottes, mais des cuissardes. Dans cette scène ironique, entrée depuis longtemps dans le langage des mèmes de la mode, on observe le pouvoir et la féminité audacieuse que ces chaussures évoquent et qui permettent à Andy de prendre sa revanche. Le terme français cuissardes signifie littéralement « qui couvrent les cuisses » et définit ces fameuses bottes qui montent au-dessus du genou. À l’origine des armures destinées à protéger les jambes des soldats et des chevaliers, aujourd’hui, elles font partie des symboles du power dressing, régulièrement réinterprétées dans les collections contemporaines.

La manifestation la plus récente du retour de cette tendance a eu lieu au festival de Cannes où l’acteur Alexander Skarsgård pour la première de The Phoenician Scheme a porté un costume de Saint Laurent avec des bottes hautes en cuir. Ces kinky ou fetish boots, accessoires clés de la collection FW25 d’Anthony Vaccarello pour Saint Laurent, ont été les protagonistes transgressifs de l’année de la censure des looks nus sur le tapis rouge. Il s’agit en un certain sens d’un retour à l’usage masculin originel des cuissardes dans une version érotique qui renvoie explicitement au monde BDSM. Ces bottes audacieuses et sexy ont aussi été portées par Pedro Pascal, associées à un costume croisé à carreaux à l’occasion de la première de la série The Last of Us 2. Ces chaussures sont souvent utilisées dans le contexte équestre pour monter à cheval et en s’inspirant justement de l’esthétique de la campagne anglaise et des looks en plein air de la Reine Élisabeth, Daniel Lee dans sa dernière collection pour Burberry a proposé des bottes hautes en cuir marron portées avec les jodhpurs classiques (pantalons d’équitation) ou dépassant sous des jupes plissées à carreaux. Dans le même esprit, les marques emblématiques de l’old money Ralph Lauren et Brunello Cucinelli ont inclus ces chaussures dans leurs collections. Le premier, dans la FW25, propose des bottes d’équitation portées avec des chemises romantiques ornées de volants et de cols à jabot. Le second, toujours dans la FW25, présente un look sophistiqué typiquement équestre dans des tons de brun et de crème avec des bottes hautes et une fourrure en plumes.

De nombreuses marques ont présenté dans leurs défilés hivernaux deux versions particulières des cuissardes : les bottes à tige rabattue, c’est-à-dire avec la partie supérieure de la chaussure repliée sur elle-même, et celles en cuir froissé souvent associées à l’esthétique bohème et indie sleaze. À ce sujet, Chemena Kamali chez Chloé propose dans la Resort 2025 la version rabattue avec un talon qui semble fait de bois, assorti à des shorts en velours et à des chemises à volants en dentelle. Ces cuissardes rappellent dans une certaine mesure les bottes au talon armadillo typique d’Alexander McQueen de la collection SS 2003, très appréciées par Kate Moss, souvent immortalisée à cette époque avec des jeans rentrés dans les chaussures et un city bag Balenciaga à la main. Balmain et Sportmax font défiler dans leurs collections FW25 des bottes hautes froncées. Olivier Rousteing à la tête de la maison française en propose une version bordeaux sur des manteaux oversize enveloppants. Dans le second cas, les cuissardes froissées sont associées à des manteaux-écharpes à franges. Dolce&Gabbana, pour sa part, ramène sur le podium dans la FW25 les parkas vert militaire avec fourrure et les fait porter avec des robes en dentelle et des bottes au-dessus du genou avec des boucles répétées sur les côtés. Stella McCartney, quant-à-elle, associe des cuissardes vernies à des robes géométriques et Alaïa dans la FW25 crée des bottes au-dessus du genou qui sortent de la fente d’une jupe dont la texture rappelle celle de la peau d’un crocodile blanc.

Certains designers sont allés au-delà de la version classique de cette botte imposante en la relisant à la lumière de l’identité et du goût des marques. Maria Grazia Chiuri, par exemple, dans la récente Cruise 2026 de Dior présentée à la Villa Albani à Rome, a réalisé des cuissardes en dentelle portées sous une robe en velours noir avec des boutons rouges rappelant la soutane traditionnelle des évêques. Chez Dsquared2, dans le défilé célébrant les trente ans de la marque, les jumeaux Caten proposent leur propre version des bottes en les créant à partir d’un pantalon de smoking ouvert, attaché aux cuisses avec des jarretelles. Dans la dernière collection Resort 2025 de Bottega Veneta, on trouve une version colorée et tressée de cette chaussure. Rick Owens, quant à lui, crée ses propres cuissardes qui, dans la collection FW25 homme, sont des bottes hautes faites de plumes, tandis que dans le défilé femme ce sont des amas de cuir froissé dont on cache volontairement la pointe.