L'ère des talons hauts touche-t-elle à sa fin ?

Les iconiques Manolo Blahnik de Carrie Bradshaw dans Sex and the City, les escarpins ouverts d’Hermès, et les bottes Chanel dans Le Diable s’habille en Prada ont longtemps dominé la scène fashion, mais auraient-elles pu annoncer le futur déclin des talons hauts les années suivantes ? Dès les années 2010, la mode a vu défiler des it-shoes comme les Armadillo d’Alexander McQueen, les sandales Tribute de Saint Laurent et les Very Privé Peep-Toe de Louboutin. Pourtant, cela n’a pas suffi à maintenir la popularité des talons hauts dans la rue, qui a commencé à décliner. Les projecteurs se sont plutôt tournés vers le sportswear et les sneakers, portées et créées à travers des collaborations ou grâce à de grands retours vintage. Les mocassins à fourrure de Gucci en 2015 ont aussi marqué un tournant pour la mode et ses chaussures. Cette transformation s’est accélérée avec l’importance croissante du confort et de designs à la fois pratiques et jolis. Sans parler de la pandémie et du télétravail qui ont encore renforcé cette tendance. Si les Millennials restent attachés à l’élégance des talons, la Gen Z a grandi dans une ère dominée par le streetwear. Il n’est donc pas surprenant que selon les données de la société d’analyse Edited, rapportées par BoF, « les ventes de stilettos classiques ont chuté de 12 % en 2024 par rapport à l’année précédente. » Un fait intéressant confirmé par la firme, qui a révélé à nss que « sur le marché du luxe, le nombre de talons actuellement en stock a augmenté de 21 % par rapport à cette période l’an dernier et de 32 % par rapport à 2023. Parallèlement, les ballerines ont augmenté de 92 % vs 2024 et de 222 % vs 2023. »

« Le déclin des ventes de stilettos reflète une tendance plus large vers le confort, la polyvalence et la durabilité. Les créateurs s’adaptent, les récents défilés mettant en avant des styles plus proches du streetwear moderne que des codes féminins traditionnels », déclare Isabel Bazzani, acheteuse de luxe australienne et personal shopper basée à Paris. « Fait notable, quand les stilettos apparaissent en défilé, ils ne sont souvent pas produits à grande échelle mais réservés aux précommandes VIP — ce qui souligne leur statut de niche dans le marché actuel. Bien que les stilettos restent symboles de haute couture et de tenues d’occasion, leur pertinence au quotidien diminue, notamment en France. Le consommateur d’aujourd’hui, surtout jeune et soucieux de son style, fait des choix pragmatiques. Il privilégie les pièces adaptées au quotidien et offrant une vraie valeur au-delà de l’esthétique — une mode qui colle à leur vie réelle, pas seulement au podium, » ajoute-t-elle.

La marque française Bobbies a adopté les talons bas sans sacrifier le style dans ses dernières collections. Cette saison, la marque présente une série de modèles incluant des ballerines à talon moyen tressées, des slingbacks bleu marine à bout pointu, des escarpins slingback à talon moyen, des sandales plates et des espadrilles compensées. Selon Bobbies, « il y a une forte demande pour les styles intemporels comme les ballerines à brides plates ou à talon, ainsi que les mocassins qui sont toujours au cœur de nos collections. Nous voyons aussi une grande tendance pour les chaussures bateau, que nous avons développées cette saison. » De son côté, la marque légendaire Roger Vivier mise toujours sur sa boucle Pilgrim et ses sandales Jewel Heel en cuir. Cependant, dans sa collection été intitulée ‘Un Été à Paris’, les pièces phares incluent des mules en raphia, ballerines slingback Belle Vivier en cuir laqué et raphia, mocassins Viv' Rangers en raphia et mules en cuir verni à talon de 4,5 centimètres. Pour l’automne 2025, Roger Vivier propose des ornements floraux, inspirés des années 1940, que l’on retrouve sur ses mules, ballerines et stilettos.

Christian Louboutin, Jimmy Choo et Saint Laurent continuent d’incarner l’essence de leurs marques en gardant une ligne de talons hauts. Cependant, Saint Laurent mise aussi sur des options polyvalentes comme les mocassins en cuir lisse, les slip-ons Lido, et les slingbacks Babylone en satin. Chez Christian Louboutin, l’offre inclut les sneakers Tutti Rui, les mocassins Chambeliboat, les ballerines Jane, ainsi que leurs emblématiques Miss Z à talons de 10 cm. Concernant la gamme de Louboutin, le studio affirme que « les talons restent la sous-catégorie signature, avec les escarpins et sandales à talon représentant 73 % de l’offre — une légère baisse par rapport aux 77 % de l’an dernier. La marque a aussi étoffé son offre de ballerines, avec 38 % d’options en plus en stock par rapport à 2024. » La nouvelle collection de Jimmy Choo propose un éventail fidèle à son ADN. Des ballerines chics aux escarpins élégants, en passant par les sandales et stilettos comme les Isa 95 en cuir noir portés par Kitty Hawthorne, les Alva d’Aimee Lou, les Isa slingbacks ou encore la Staz sandal 90 très en vue.

« D’après mon expérience avec des clients fortunés et l’observation conjointe des tendances des podiums et de la demande, je ne dirais pas que le stiletto est remplacé mais plutôt recontextualisé. On voit l’émergence de styles plus portables, comme les kitten heels, talons blocs sculpturaux, compensées ou mi-hauteurs, qui allient praticité et design. Le talon boule de Chanel pour l’automne-hiver 2025 en est un exemple parfait, » ajoute Bazzani. Elle évoque aussi les mules blink métalliques de Bottega Veneta, les mules en cuir de Jil Sander, et les mocassins en cuir d’autruche de Tod’s avec leur bride ornée d’anneaux dorés. « Nos clientes, et les Françaises en général, préfèrent les talons mi-hauts pour le confort et l’élégance. Elles peuvent ainsi les porter toute la journée et même le soir, » explique Bobbies. « En parallèle, les marques adoptent des alternatives comme les baskets rétro, les sandales minimalistes et les souliers plats élégants — ballerines, mocassins, et même Mary Janes — qui trouvent toutes leur place dans la garde-robe de luxe. Cette diversification répond aux besoins des consommateurs modernes, qui veulent une mode adaptée au rythme réel de la vie, » conclut Bazzani.