L'esthétique "I Love" ne meurt jamais Comment un logo municipal est devenu l'un des modèles les plus tenaces de la mode

Lorsqu'on visite une nouvelle ville, il est presque certain que l’on croisera des T-shirts et souvenirs “I love” dans chaque boutique touristique et terminal d’aéroport. Jadis un cliché du tourisme de masse, ce simple slogan typographique est devenu l’un des styles les plus tenaces — et adaptables — de la mode. Réinventé encore et encore, le design apparaît aujourd’hui chez les club kids parisiens, dans les échoppes de Manhattan, sur les podiums et sur le dos d’influenceurs pendant la Fashion Week. Ironique, nostalgique et infiniment remixable, le motif “I love” a depuis longtemps dépassé les boutiques de souvenirs pour devenir un langage visuel à part entière. La version originale remonte à 1977, lorsque le graphiste Milton Glaser griffonna “I Love New York” au crayon rouge au dos d’une enveloppe. À l’époque, New York était en crise : hausse de la criminalité, économie vacillante, chute du tourisme. Grâce au soutien de la publicitaire Mary Wells Lawrence, le logo devient le centre d’une campagne qui ne devait durer que quelques mois. Pourtant, le design a survécu à la campagne, à la crise et à la plupart des efforts marketing de la ville depuis. Dans les années 1990 et 2000, le logo faisait officiellement partie de la culture visuelle du quotidien. Apparu dans Friends, Sex and the City et Gossip Girl, d’autres villes l’ont copié, avec plus ou moins de sincérité. Mais avec le temps, le slogan a quitté le champ du branding municipal pour devenir un raccourci visuel. Et finalement, la mode s’en est emparée.

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Un tournant notable a été la collection FW17 de Raf Simons. En pleine ère Trump et chaos post-électoral, Simons fait défiler un pull “I Love New York” sur le podium. Porté par les plus grands rappeurs de l’époque, dont A$AP Rocky et Playboi Carti, il marque un changement de perception. Le motif cœur n’est plus kitsch. Le même pull, réédité plus tard avec “RS” au lieu de “NY”, se vend désormais jusqu’à 2 000 dollars sur les plateformes de revente. Son attrait réside dans sa subtilité : un format familier, rebrandé pour exprimer le designer plutôt que la ville. Lors des saisons suivantes, le slogan devient un code visuel. Balenciaga sort sa propre version — “I Love Paris & Balenciaga” — sur casquettes, pantalons de survêtement, T-shirts et hoodies, en noir et blanc. Les prix vont de 350 dollars pour une casquette à plus de 1 000 pour un hoodie. Plus récemment, Mark Gong a intégré sa propre interprétation du motif cœur dans son défilé AH25 à la Shanghai Fashion Week, avec un T-shirt affichant “I Love Mark Gong, Money & Boys.” La collection rend hommage aux it-girls des années 2000, et le slogan capture parfaitement le ton camp et auto-dérisoire du show. Entre les mains de créateurs comme Gong, l’esthétique “I Love” devient haute couture.

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Très peu de logos durent cinquante ans sans devenir obsolètes. Encore moins deviennent des icônes de mode. Mais le cœur, semble-t-il, est intemporel. Le logo est déposé par le Département du Développement Économique de l’État de New York, qui continue de le licencier officiellement. Cela n’a pourtant pas freiné son appropriation à grande échelle — le design a depuis longtemps échappé à tout contrôle juridique. Son succès visuel réside dans sa simplicité et son élasticité — adaptable à l’infini, en toute couleur, sur tout tissu, et sous tout format. Il contient aussi une forme de défi silencieux. Le créateur original expliquait que le logo touchait les gens car il exprimait ce qu’ils ne pouvaient pas dire autrement. “Les gens partaient,” disait-il. “Et ceux qui restaient avaient envie de dire ‘I love New York.’” Cette émotion existe encore dans les réinterprétations modernes. Ce qui avait commencé comme un slogan en temps de crise est devenu l’un des symboles les plus durablement puissants de la mode, précisément parce qu’il en dit beaucoup tout en en demandant si peu. Il a été porté avec sincérité, ironie, et tout ce qu’il y a entre les deux. Les créateurs y reviennent encore et encore. Ce n’est pas seulement que les gens portent encore des T-shirts “I Love” — c’est qu’ils trouvent toujours de nouvelles manières de les porter. Une telle permanence culturelle est rare. Le cœur persiste.

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