
Pour la mode, le vrai luxe de 2025 est le sommeil
De la chambre à coucher au podium

27 Mars 2025
Certains designers, lors des dernières fashion weeks, ont présenté dans leurs collections des vêtements traditionnellement portés à la maison, les réinterprétant en vêtements prêt-à-porter plutôt qu’en prêt-à-dormir. En réalité, l’utilisation de l'homewear n’est pas nouvelle sur les podiums et déjà à l’époque de l’ère de la “quiet luxury”, précisément pendant les périodes de confinement, les marques les plus connues avaient réalisé pour les collections de l’époque des manteaux-capes qui ressemblaient à des couvertures, des chaussures en forme de chaussettes comme celles de Bottega Veneta et des ensembles "simil-pyjama" en cachemire proposés par The Row et Loro Piana. À cette époque, la mode semblait répondre à la crise des corps dans les espaces sociaux : d’une certaine manière, ces vêtements minimalistes, confortables et empreints de l’ambiance de la maison ont rendu moins traumatisant le passage vers la construction d’une nouvelle vie quotidienne. Aujourd’hui, la tendance a pris de multiples nuances et significations différentes à la lumière de la phase maximaliste et décorative que traverse la mode.
Les précurseurs de cette tendance sont Miuccia Prada et Raf Simons, qui ont proposé, à la fois dans leurs défilés womenswear et menswear pour la collection FW25, la classique chemise de nuit associée chez l’homme à des bottes de cowboy usées et à des bracelets avec des pendentifs en forme de balles de baseball. L’utilisation de ce vêtement de nuit dans le défilé masculin s’inscrit dans une réflexion plus large sur l’instinct et la nature de l’être humain qui, à travers les contrastes de tissus, de proportions et de choix de style, révèle son identité kaléidoscopique. Dans la collection femme, ces pyjamas, typiquement bourgeois, sont réinterprétés par Prada et Simons à la lumière d’une question qui a inspiré leur processus créatif pour la réalisation du défilé : “Que signifie la féminité aujourd’hui ?”. Ces chemises de nuit sont portées sous des manteaux en laine et sont associées à des jupes froissées qui ressemblent, par la façon dont les boutons sont positionnés, aux classiques boxers en coton. La référence à l’habillement de chambre, toujours présente dans les collections de la marque milanaise, se retrouve également dans le choix du maquillage et des coiffures des mannequins, qui portent leurs cheveux volontairement en désordre, comme si elles venaient de se réveiller. Nous retrouvons également les classiques chemises de nuit dans la FW25 homme de Undercover, associées à des cardigans feutrés et des gants en fourrure à imprimé floral. Dans la collection FW25 de Lazoschmidl, on remarque un pyjama à rayures proposé avec une cravate et des lunettes noires épaisses, presque comme un look de bureau. Dans le défilé FW25 de Ermanno Scervino, l’uniforme de nuit est présenté dans une version sophistiquée en velours.
Certains designers ont interprété cette tendance de manière explicite. Pensons à la marque 3.Paradis (FW25) du designer Emeric Tchatchoua qui, dans sa dernière collection, s’inspirant de ses souvenirs d’adolescence des hivers passés à Montréal, a créé des tops rembourrés qui ressemblent à des taies d’oreiller, faisant un clin d’œil à la FW23 de Prada et au soi-disant "bedcore", et des vestes qui pourraient facilement être confondues avec des matelas. Même dans un look du défilé, un mannequin porte un masque de nuit et tient une couverture comme s’il s’agissait d’un sac. Le designer britannique Christian Cowan a aussi été influencé par cette tendance : pour la FW25, il a réalisé une robe avec un corsage qui ressemble à un coussin. Cette fascination des designers pour l’homewear et, plus généralement, pour les objets de décoration que l’on retrouve couramment dans les chambres, se retrouve aussi dans le retour de la doudoune, dont la texture et le rembourrage sont souvent utilisés pour créer des couvertures et des couettes.
Chemena Kamali a proposé, comme nouveau manteau pour la fille Chloé dans sa FW25, un manteau aux coutures typiques en losanges des matelassés, décoré de bords en fourrure. Le tissu matelassé a attiré l’attention de Silvia Venturini Fendi, qui, dans sa dernière collection présentée pour le centenaire de la maison romaine, a réalisé des jupes et des chemises avec cet effet rembourré. Cette tendance a été interprétée de manière conceptuelle et architecturale par Pieter Mulier qui, pour le défilé SS25 de Alaïa, a créé des bombers aux formes sculpturales. La designer belge Meryll Rogge s’est également inspirée des doudounes matelassées pour sa FW25, dans laquelle nous retrouvons des sweats et des jupes faites de losanges rembourrés qu’elle a associés à des tops en laine et des chemises à carreaux dans un style un peu grunge. De plus, dans la SS25 homme de JW Anderson, Jonathan Anderson a proposé les typiques "quilted jackets", un vêtement classique de la mode britannique souvent porté par la Reine Elizabeth lors de ses excursions à la campagne, dans une version très oversized, associée à des bottes militaires. Toujours, la designer japonaise Mame Kurogouchi, dans sa FW25, a réalisé un manteau doux blanc qui reprend les coutures rembourrées d’une classique couette. Certains designers ont présenté des écharpes et des couvertures sur le podium, les transformant en pièces à porter au quotidien. Pensons aux manteaux de Michael Kors dans la FW25, à la mini jupe-écharpe réalisée par Nicolas Ghesquière dans la collection FW25 de Louis Vuitton et aux jupes qui ressemblent à des plaids inversés proposées dans le défilé Eckhaus Latta FW25.
Une autre déclinaison de cette tendance peut être observée dans le choix des designers qui utilisent des tissus et des imprimés d’intérieur, habituellement utilisés pour la décoration de la maison, les repensant comme des vêtements de soirée. À cet égard, Donatella Versace, pour son dernier défilé d’adieu (FW25), en piochant dans les archives des collections "Versace Home", a présenté des robes avec des volants rembourrés qui ressemblent à des couettes ou des manteaux et des robes dont la doublure reprend le motif baroque classique de la maison, souvent utilisé pour la literie dans les collections maison de la marque. Dans le même esprit, tant Adrian Appiolaza pour Moschino que Alessandro dell’Acqua pour sa marque N.21, ont créé des manteaux inspirés de tissus et imprimés rétro, rappelant un peu les couvertures brodées des grands-mères. Le premier, dans la FW25, a créé un manteau matelassé avec un imprimé floral, un peu années 70 et un peu surréaliste, avec un chapeau qui ressemble à un énorme coussin. Le second a introduit dans la collection FW25 un look composé d’un bomber, d’une jupe et d’une écharpe avec le même motif floral.
L’homewear a aussi intrigué Alessandro Michele et Haider Ackermann. Les deux designers ont proposé dans leurs dernières collections un objet typique de l’habillement de chambre, la robe de chambre, transformée par ces derniers en pièce prêt-à-porter. Dans la FW25 de Valentino, Michele a associé à des looks formels avec cravate et pantalons sur-mesure des robes de chambre brodées : un contraste entre vêtements d’intérieur et d’extérieur, exprimant une relation intime entre le corps et les vêtements. Ackermann, pour sa collection de début chez Tom Ford (FW25), utilise ce vêtement pour raconter la séduction du “lendemain matin”. La robe de chambre, attachée à la taille avec une ceinture à franges, devient dans ce défilé un symbole d’érotisme entre la nuit et le jour, cachant encore les vêtements de la soirée précédente.