
L'amour tantôt harmonieux, tantôt discordant de "Deux pianos" François Civil et Nadia Tereszkiewicz sont les protagonistes du film d'Arnaud Desplechin
Dans les relations, rien n’est fixe, tout est changeant. Une phrase peut signifier bien des choses, un regard peut valoir plus que mille mots. Mais si de nombreuses phrases sont dites et de nombreux regards sont échangés, tôt ou tard, il faudra bien arriver à une conclusion. Ce n’est pas entièrement le cas de Deux pianos, le nouveau film d’Arnaud Desplechin présenté en avant-première au Festival international du film de Toronto, qui pourtant s’efforce de donner une connotation musicale et nuancée à l’amour, cherchant à intégrer dans le film avec pour protagonistes François Civil et Nadia Tereszkiewicz toutes ses contradictions. Le scénario ne pouvait donc qu’en être rempli. Certains pourraient dire que c’est exactement comme lire la partition d’une mélodie, comme tenter de mélanger ensemble le rapide, le lent, l’allègre et l’adagio dans une seule et unique symphonie. Le résultat, cependant, risque de paraître déconnecté et irrégulier, et c’est ainsi que se déroule Deux pianos, réussissant parfois à harmoniser correctement les éléments de sa composition tout en s’arrêtant et en divaguant trop lorsqu’il s’agit d’en souligner d’autres.
L’histoire commence avec une sorte de trio qui finit par devenir un duo. Mathias (Civil), pianiste talentueux, revient à Lyon où il retrouve Claude (Tereszkiewicz), dans une apparition tellement inattendue qu'il s'en évanouit, tellement forte est l’émotion et le choc de se retrouver face à cette femme qui a eu une importance dans sa vie fut un temps. Dès le départ, on comprend que les deux se sont aimés. Ou, du moins, que l’homme l’a désirée avec passion. Entre-temps, cependant, Claude est devenue épouse, mère, et c’est justement son fils Simon qui se trouve au centre d’un possible retour de flamme des protagonistes. Tandis qu'il le croise alors qu’il est au parc, Mathias remarque une ressemblance flagrante avec lui-même à cet âge-là. Les destinées du musicien et de la jeune femme se croisent ainsi à nouveau, des années après cette nuit d’amour qu’ils ont partagée.
Dans l’éloignement et les retrouvailles de Mathias et Claude se trouve toute l’élasticité permise à une composition, qui dans Deux pianos se déplace en continu tout en maintenant au centre la large et variée palette des sentiments des personnages. Le protagoniste cherche un point d’équilibre dans sa vie et sa carrière, il sent le sol sous ses pieds risquer de s’effondrer, surtout lorsque même sa mentor Elena, interprétée par Charlotte Rampling, qui a toujours eu un faible pour les talents du jeune homme et qui incarne le professionnalisme dans sa forme la plus haute, semble vouloir se retirer. Rencontrer Claude ne l’aidera pas. Et c’est peut-être pour cela que les échanges entre les personnages semblent souvent trop brusques, plus entraînés par l’envie de construire un amour insolite et différent de tous les autres que par la réelle compréhension de celui-ci. Une perte dans un spectre large d’humeurs et d’émotions que le film ne cherche certainement pas à faire concorder, mais qui devient problématique si elles ne concordent pas non plus dans le scénario.
C’est également le cas des performances des acteurs qui, toutefois, ne peuvent à leur décharge qu’exécuter ce que le texte demande, exactement comme un musicien face aux pages de sa partition. Lui tourmenté et en proie aux vapeurs de l’alcool et de la confusion, pris au dépourvu par un deuil soudain (et assez mal traité) et elle par le retour de l’homme dans sa vie, dans Deux pianos, Civil et Tereszkiewicz ont une bonne alchimie, mais dans l’ensemble n’exaltent pas l’œuvre discrète quoique non exceptionnelle. Un duo intéressant qui reconfirme tous deux comme les visages les plus frais du paysage français, avec François Civil à nouveau en contact avec une matière vivante et effervescente comme la musique, explorée toutefois de manière différente dans l’opération musicale et dynamique de L'Amour ouf de Gilles Lellouche sorti en 2024. Deux pianos est donc un concert qui sonne parfois faux, tout en étant capable de mener dignement le spectacle à son terme. Un duo à l’harmonisation fragile, même si, à l’intérieur, on peut entrevoir son âme.























