
La France n'a pas adoré L'amour Ouf, mais le reste du monde alors ? De flop à Cannes à star du box office
À la 77e édition du Festival de Cannes, L’amour ouf obtient la note la plus basse dans le tableau de la revue britannique Screen International, le journal quotidien qui accompagne l’événement cinématographique et qui compile les premiers avis provenant des plus grands médias du monde entier. L’œuvre de Gilles Lellouche, célèbre acteur français également passé à la réalisation depuis 2004 et arrivé à son quatrième long métrage (troisième, si l’on ne compte que son épisode dans le film collectif Les Infidèles de 2012), reçoit une note de 1,3 étoiles sur 4, marquant un véritable désastre accompagné des critiques les plus longues et négatives ainsi que de l’exclusion du film du palmarès cette année-là. Le destin de L’amour ouf semble mal engagé, un coup dur pour l’une des plus grandes sociétés de production et de distribution françaises, StudioCanal, qui a investi pas moins de 35 millions d’euros dans le projet entre bagarres et ballets de Lellouche, soit le budget le plus élevé jamais dépensé par l’entreprise. Une confiance théoriquement bien placée, puisque le réalisateur et scénariste avait connu un succès colossal en 2018 avec Le Grand Bain, qui avait non seulement conquis le public avec un total de 4 269 036 entrées au box-office national et international, mais également reçu des avis très positifs de la critique. Le désastre cannois n’a cependant pas empêché L’amour ouf de connaître un succès économique lors de sa sortie en cinéma, en France et ailleurs. Un retournement inespéré, compte tenu de l’accueil glacial à Cannes, balayé par les 4,9 millions de spectateurs français qui se sont déplacés pour voir le film, le plaçant au cinquième rang des plus gros succès de l’année, dépassant même ce Grand Bain pourtant plus apprécié six ans plus tôt. Finalement, les tourments de l’âme évoqués dans le film ne pouvaient que refléter une production tout aussi chaotique, mais surtout profonde et avide de lumière, tout comme l’amour entre les protagonistes Clotaire et Jackie, interprétés par les acteurs François Civil et Adèle Exarchopoulos.
L’idée de Lellouche d’adapter le roman Jackie Loves Johnser OK?, écrit par Neville Thompson et publié en 1997, remonte à 2013, après que son collègue Benoît Poelvoorde lui ait recommandé le livre et suggéré d’en faire un film. Ce dernier jouera d’ailleurs le rôle de Le Brosse dans le film. Pendant des années, le projet est resté au placard, après une première tentative de Lellouche de le transposer en scénario. Il aura fallu six ans et l’intervention d'Audrey Diwan, Lion d’or à la Mostra de Venise en 2021 pour L’Événement, pour que le cinéaste reprenne en main le récit, aux côtés d’Ahmed Hamidi avec qui il avait déjà travaillé sur le succès Le Grand Bain. Même après son passage à Cannes, la structure du film a continué à évoluer. Ce ne sont sans doute pas les cinq minutes de moins qui ont changé la perception de L’amour ouf, mais le public a tout de même afflué pour ce voyage dans les années 80, emporté par la passion intense et bouleversante des personnages. À Cannes, la durée du film était de deux heures quarante-six — qui sont devenues deux heures quarante et une pour sa sortie en salles. Une première coupe avait déjà eu lieu, le réalisateur ayant assuré avant Cannes que le film durerait au moins trois heures. Même après la sortie, il a continué à ajuster son œuvre, retirant une scène de danse et deux scènes de violence qui, selon lui, rendaient le personnage de Clotaire inutilement antipathique.
Pour le reste, Gilles Lellouche est resté fidèle à lui-même et à sa vision, livrant un récit extrêmement classique dans sa narration — elle le rencontre lui, il la rencontre, ils tombent amoureux, sauf que lui est un voyou et leur amour brûlera toute leur vie. Un film qui est un retour dans le passé, avec une bande-son qui arrache une larme aux spectateurs — qu’ils connaissent les chansons ou non —, parfaitement intégrée au tumulte des relations passionnelles et suffocantes dans lesquelles le public, bien plus que celui de Cannes, a accepté d’être emporté, tout comme les personnages. Tandis que Nothing Compares 2 U, dans sa version 80s par Prince, résonne dans les écouteurs de Jackie, Lellouche parsème son œuvre de clins d’œil au cinéma de Martin Scorsese et Quentin Tarantino, agrémenté du romantisme et de la grandeur de West Side Story, le tout mixé dans une France éloignée des grandes villes, à la frontière où réalité et fiction deviennent cinéma. Tout est réuni dans L’amour ouf pour en faire un film qui fait battre les cœurs — le titre international n’est d’ailleurs autre que Beating Hearts. On y trouve un amour indestructible, une pincée de violence en toile de fond avec des histoires de gangsters qui plaisent à un large public, une ambiance pop issue de la volonté de construire une œuvre anti-comédie musicale sans renoncer à quelques touches de chorégraphies. On juge moins la relation entre les personnages et on a le sentiment d’assister à une grande histoire d’amour et de sang. Ce n’est pas un hasard si La Croix y a vu une tentative d’imitation du Roméo + Juliette de Baz Luhrmann, adaptation de Shakespeare qui, même si elle ne convainc pas totalement la rédaction, a sans doute de quoi séduire le public. Et c’est ce qu’elle a fait, se rachetant, tout comme Clotaire et Jackie, dans une parabole où le destin du film a suivi celui de ses personnages.























