Le drame d'une influenceuse qui ne ressent pas la douleur dans L'Accident de piano Quentin Dupieux fait à nouveau appel à Adèle Exarchopoulos pour la troisième fois
Tout le cinéma de Quentin Dupieux est une performance. Ou, mieux encore, l’analyse et la vivisection d’une performance. C'est ce qui rapproche ses films des expérimentations des installations, de l’esprit irrévérencieux de l’art contemporain, de la moquerie des expériences que l’auteur encadre dans ses œuvres et qui trouve sa nouvelle expression dans L'Accident de piano. Dupieux prend cette fois comme protagoniste une célèbre influenceuse, interprétée encore une fois par Adèle Exarchopoulos, qui revient pour la troisième fois collaborer avec le réalisateur et scénariste après Mandibules en 2020 et Fumer fait tousser en 2022. Le cinéaste la transforme complètement, lui coupe les cheveux et lui met un appareil dentaire, lui demandant de faire des grimaces et de s’infantiliser.
Magalie Moreau, dite Megajungs, est atteinte d’une insensibilité congénitale à la douleur, que la jeune femme a transformée en rente dès l’adolescence. En se faisant volontairement du mal devant la caméra, en testant des machines à laver, en participant à des combats de boxe, en se faisant frapper par une batte de baseball lancée à toute vitesse, Magalie fait preuve d'une capacité surhumaine et impressionnante à se remettre rapidement sur pied, juste le temps nécessaire pour organiser sa prochaine vidéo. Jusqu’au jour où, prête à se laisser tomber un piano dessus, elle finit par provoquer un accident qui lui coûtera sa couverture et ne lui apportera que du chantage au moment où elle sera découverte. Mais l’influenceuse, mégalomane et têtue, refuse de se plier aux règles des autres. Les mêmes règles que sa biologie ne respecte pas non plus, faisant d’elle à la fois une patiente et une héroïne, une anomalie et la personne la plus populaire au monde.
La manière dont Dupieux décrit, caractérise et fait incarner son personnage principal en fait non seulement une folle furieuse qui commence à prendre toutes les mauvaises décisions qui se succèdent dans le film, mais lui confère également une aura énigmatique, une lumière à la fois fascinante et mortelle, en plus d’être incroyablement capricieuse. Sombre dans son insatisfaction constante, malgré la renommée acquise. À la recherche probablement d’une façon de réellement se faire mal, sans jamais y parvenir. Et elle, qui ne ressent aucune douleur physique, souffre incroyablement lorsqu’il s’agit de parler d’elle-même, d’explorer son for intérieur, de chercher les raisons pour lesquelles elle continue à s’infliger des peines toujours plus sévères pour gagner et conquérir le public.
Un discours que Quentin Dupieux tisse uniquement autour de l’influenceuse, mais qui pourrait s’élargir s’il essayait de demander également aux spectateurs ce qui les fait autant rire et les passionne tant chez une personne qui s’inflige à elle-même des maux qu'ils ne souhaiteraient jamais subir. Une désensibilisation non seulement de la peau, de la chair, des organes de Magalie, mais de son (et notre) public, tellement habitué à la violence que, lorsqu’elle est auto-appliquée, elle finit par devenir un divertissement, rien d’autre. Pour l’influenceuse, il vaut mieux ne pas explorer les raisons pour lesquelles elle continue à se martyriser, car en parler et se révéler serait alors un véritable coup de poignard. Les spectateurs, les fans, les followers, en revanche, en sont totalement inconscients, pas du tout intéressés si ce n’est pour un autre contenu. Tandis que pour Dupieux, c’est une manière supplémentaire de divertir et de se divertir, souvent au détriment de ses personnages. Performer, performer toujours. Laissant au public le soin de se demander ce qu’il vient de voir, à moins qu’il ne tienne vraiment à le savoir.