"L'étranger" de François Ozon est un devoir bien fait, mais reste tout de même un devoir Le filme avec en vedette Benjamin Voisin vient d'être présenté en avant-première à la 82e Mostra del Cinema de Venise

François Ozon a décidé de reprendre le roman L’Étranger d’Albert Camus pour le transposer sur grand écran. Il le fait de manière cohérente avec le livre publié en 1942, restituant ce sentiment de nihilisme et d’apathie qui donne des ailes au protagoniste Meursault, interprété par le jeune Benjamin Voisin, dont la présence devient de plus en plus prédominante sur la scène française (et mondiale) ainsi que dans les circuits festivaliers. L’acteur revient en effet à la Mostra de Venise après avoir concouru l’an dernier avec Jouer avec le feu des sœurs Delphine et Muriel Coulin, et se retrouve à nouveau devant la caméra d’Ozon qui l’avait dirigé dans son premier travail d’une certaine importance, Été 85. Un film dans lequel Voisin n’avait que vingt-quatre ans et laissait éclater les tourments juvéniles qui embrasaient l’histoire des protagonistes, refroidis dans ce film qui réunissait à nouveau acteur et réalisateur et qui, aux couleurs criardes des années quatre-vingt, préférait un noir et blanc froid et glacial. Un film qui, par son sujet et ses décors (bien que différents), se confronte à Ripley, autre opération d’adaptation du réalisateur et autre récit de crimes et de méfaits, avec une autre photographie qui abolit les couleurs pour céder la place aux ombres.

L’adaptation en épisodes de la série de Steven Zaillian a été diffusée en 2024 sur Netflix, teintée du drame de la personnalité inquiétante et calculatrice du protagoniste incarné par Andrew Scott, s’accordant parfaitement avec l’absence de chromatisme. Exactement comme dans L’Étranger, où l’humeur plate, aseptisée et impénétrable de Meursault imprègne d’une (volontaire) lassitude l’ensemble du film, lequel avance imperturbablement sans pics ni chutes, maintenant constant et uniforme le ton du récit, dont le centre est le protagoniste et d’où rayonne toute la construction qui l’entoure. De l’architecture d’Alger, au calme assourdissant des journées du jeune homme, jusqu’aux relations qu’il établit avec ceux qui l’entourent, avant tout avec la Marie Cardona de Rebecca Marder, avec laquelle il entretient une relation pleine de signification pour la jeune femme, mais vide pour Meursault. Parce que rien n’importe et rien n’est intéressant. Dans cette vie, dans la précédente, dans la prochaine. C’est un limbe, le lieu spirituel où se trouve le protagoniste, y compris et peut-être surtout après avoir tiré sur un homme et, par conséquent, avoir été enfermé. Un procédé très simple par lequel le film remonte dans l’existence vécue jusque peu de temps auparavant par le jeune homme pour découvrir ce qui l’a fait basculer. Et ici encore, la réponse est, de façon déconcertante, la même : rien.

Dans le désarroi des actions dénuées de sens pour Meursault lui-même, Ozon pratique une adhérence entre la parole écrite et l’image, transposant la littérature à l’écran avec une capacité qui n’appartient qu’au cinéma : celle de réussir à priver un roman de ses mots, sans lesquels il ne pourrait autrement jamais exister, tout en en restituant l’âme comme les intentions. Une opération peut-être trop propre, dénuée d’élans si ce n’est dans un final qui, précisément pour faire comprendre qu’il est temps pour le protagoniste de se montrer ébranlé, est surchargé. Un essai pour l’écran, un devoir accompli avec soin. Une compréhension qui n’équivaut pas toujours à l’émotion, mais qui mène sa mission à terme.

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