Que vaut Partir un Jour, film d’ouverture du Festival de Cannes ? La réalisatrice et scénariste Amélie Bonnin signe son premier long-métrage et dirige Juliette Armanet et Bastien Bouillon

Dans la vie de la protagoniste Cécile (Juliette Armanet), ce qui lui arrive dans Partir un Jour est une parenthèse. Une incise qui n’influencera en rien le reste de sa vie. Certes, la femme est enceinte et doit choisir quoi faire ou non de l’enfant – même si elle le sait parfaitement –, mais le choix de mener ou non la grossesse à terme n’influencera pas ce qu’elle vivra dans le laps de temps circonscrit du film, qui semble durer juste le temps d’une chanson. Oui, car le premier long-métrage d’Amélie Bonnin, écrit avec Dimitri Lucas, est un film musical. Pas une comédie musicale. Un film musical. Dans la tradition française des Parapluies de Cherbourg, sans pour autant convoquer les maîtres comme Jacques Demy, l’œuvre intègre les chansons de son propre répertoire dans le tissu même du scénario. Il n’y a pas de grandes chorégraphies ni de scènes de danse, même les morceaux interprétés par les personnages ne demandent pas de performances éclatantes. Ce sont des hits qui contribuent à exprimer les sentiments de chaque personne à l’écran et sont reproduits tels quels : dans un moment d’intimité de couple, dans l’échange secret et coquin entre mère et fille, lors d’un dîner entre amis. Avec un seul véritable moment d’ouverture à l’enchantement cinématographique : une séquence entière qui transporte Cécile et le personnage de Raphaël (Bastien Bouillon) dans le passé, dans la reconstitution de leurs années de jeunesse.

C’est en effet l’ancien amour de la protagoniste qui revient pour une apparition inattendue dans sa vie. Devenue une cheffe renommée, prête à ouvrir son premier restaurant, Cécile est forcée d’interrompre momentanément le cours de son existence pour revenir dans sa ville natale s’occuper de son père, décidé à ne pas abandonner son activité malgré un infarctus. À bord d’un camion qu’elle a pris en auto-stop, comme une machine à remonter le temps qui l’a ramenée à sa vie d’avant-Paris, la protagoniste dormira dans son ancienne chambre et travaillera dans la cuisine de ses parents comme si rien n’avait changé. Comme si tout devait reprendre là où cela s’était arrêté, y compris sa relation avec Raphaël. Tiré du court-métrage homonyme qu’Amélie Bonnin a ensuite transformé en film, où elle a aussi conservé les acteurs Armanet et Bouillon, qui avaient déjà incarné Cécile et Raphaël en 2021, la réalisatrice compose une comédie romantique qui nous parle de tous les non-dits que nous ne savons pas exprimer et que la musique peut nous aider à faire émerger.

De la croissance d’une femme qui ne doit pas culpabiliser de ne plus être la même jeune fille, qui a choisi de s’éloigner de la banlieue pour poursuivre ses ambitions, les mêmes que son père Gérard – un François Rollin pétillant – semble lui reprocher, mais qui ont été nourries précisément dans sa cuisine. Partir un Jour raconte comment, parfois, se retourner ne signifie pas nécessairement reprendre un chemin dont on avait oublié les pas, mais seulement le savourer un instant avant de regarder devant soi, sans se laisser aveugler par les sentiments ni tomber dans la rhétorique des émotions. Car se souvenir et aimer est juste, à condition de ne pas perdre de vue qui l’on est, qui l’on est devenu et, surtout, qui l’on veut devenir. Pour un chapitre de l’existence de Cécile plein de tendresse et qui, exactement comme une chanson ou un film, sait – et nous savons – qu’il devra finir tôt ou tard.

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