
Le meilleur film de 2024 selon les Cahiers du cinéma
Et pourquoi il s'agit précisément de Miséricorde d'Alain Guiraudie
24 Janvier 2025
À Miséricorde d’Alain Guiraudie a été attribué la première place des meilleurs films de 2024 par les Cahiers du cinéma, la revue cinématographique française la plus prestigieuse. Depuis toujours, la mission de la publication a été de se poser en rupture avec les schémas courants, d’être à l’avant-garde et de savoir l’anticiper, trouvant une parfaite cohérence entre le cinéma de Hong Sang Soo avec In Water, l’œuvre indienne All We Imagine As Light de Kayal Kapadia et Trap de M. Night Shyamalan, eux aussi dans le classement des titres incontournables de l’an dernier. Et, d’une certaine manière, porter Miséricorde au sommet de leur liste contribue au discours d’une critique militante qui va au-delà de ce que nous connaissons de façon évidente et auquel est attribuée une valeur supplémentaire grâce à la reconnaissance d’une institution telle que la bible des cinéphiles.
Non que Guiraudie n’ait pas contribué au concept d’auteur ces dernières années en faisant de l’inattendu, durant la vision de ses films, un élément essentiel à ses récits, ce qu’il atteint également dans le thriller situé dans la petite ville de Saint-Martial, avec les atmosphères suspendues et indéchiffrables déjà présentes dans son film culte L’inconnu du lac. Et si le festival de Cannes ne l’a pas voulu en compétition officielle, ne lui réservant qu’une place dans la section Première, ce sont bien les Cahiers qui revendiquent sa grandeur. Cette fois, le protagoniste est Jérémie Pastor, visage presque enfantin derrière les rides d’expression de l’acteur Félix Kysyl, qui retourne dans son village natal pour les funérailles du père de son vieil ami Vincent (Jean-Baptiste Durand), avec qui il se brouillera à cause de la relation ambiguë qu’il établira avec la mère Martine (Catherine Frot).
Tout est étrange, tout est tendu dans le retour de l’homme et dans les relations qu’il établit avec ces connaissances de longue date. Il y a une tension érotique, il y a une violence animale, il y a une excitation constante dans le fait de ne pas savoir exactement comment les choses vont évoluer et, par conséquent, il y a un mélange de peur face à l’inattendu qui, on le sait, surgira d’un moment à l’autre dans la scène. Et, dans un cas comme Miséricorde, cela augmente à mesure que la circonspection du protagoniste progresse vers une sorte de résolution finale, atteinte seulement vaguement, juste de quoi conclure le film et donner un sens au genre thriller utilisé. C’est avec placidité que Félix arrive dans la ville, sur une route que nous suivons à l’ouverture pendant les titres de début, prenant un, puis deux, puis encore un autre virage avant d’arriver finalement dans un lieu qui semble vide, irréel. Où il n’y a personne d’autre que les personnages qu’Alain Guiraudie met en scène. Minimaliste, essentiel, il n’y a pas une âme dans ce village oublié de Dieu et pas seulement parce que c’est le destin de nombreuses petites villes de campagne, mais parce que c’est ainsi que le réalisateur veut que soient les scènes : irréelles, dépouillées, figées dans le temps. À l’ombre des grands arbres, pour se cacher des regards, comme le faisaient ses inconnus au bord du lac en 2013.
Une scène sans coulisses, mais avec des maisons et des églises, des feuillages et des feuilles pour dissimuler les secrets. Et dans laquelle ce sont la passion et la miséricorde - citée dans le titre original du film - qui animent les personnages. Miséricorde est tout un jeu de rôles et de déclarations improbables, de personnages qui se déplacent comme tirés par un fil avec Guiraudie en marionnettiste. Tout est stylisé, impénétrable et pourtant limpide, les protagonistes et les actions sont uniquement guidés par des pulsions et rien d’autre n’est nécessaire pour avancer. Ni paroles, ni explications, ni analyses complexes de chaque geste ou regard. Il y a le désir et il y a le pardon, il y a la convoitise et il y a la compassion. Il y a aussi la mort. Fin. Dans un film qui reste aléatoire, tiré d’un segment du roman Rabalaïre écrit également par le réalisateur, et qui tire sa force de cette impassibilité, le choix des Cahiers du cinéma est dicté par la volonté de placer le cinéma sur un terrain pas nécessairement limpide, cristallin, facile à lire. Mais qui ne reste pas non plus strictement lié à l’enquête, à vouloir creuser et découvrir, mais laisse plutôt une composante fortement imaginative alimenter le septième art. C’est une histoire non approfondie, mais suggérée ; non écrite, mais chuchotée. C’est le cinéma que l’on peut trouver par hasard, qui ne se manifeste pas de manière ostentatoire et qu’il faut, pour cette raison, savoir bien chercher, comme les personnages du film et leur chasse aux cèpes.