
Pouvons-nous faire confiance aux applications AI pour nous habiller ? Les outils améliorés sont nuls en layering
Tout le monde a déjà connu ce blocage devant sa garde-robe, ce «qu’est-ce que je mets aujourd’hui ?» qui fait perdre des minutes, voire des heures, dans l’indécision. Aujourd’hui, cependant, il suffit d’ouvrir une application-styliste comme Acloset ou StyleDNA et de télécharger une photo de sa garde-robe, ou d’envoyer à ChatGPT un prompt détaillé sur ce que l’on possède, l’algorithme génère une tenue en quelques secondes, et le tour est joué. Le résultat, toutefois, est presque toujours le même : blazer clair, jean droit, baskets blanches. Comme le souligne Vogue Italia, qui a testé ChatGPT pendant une semaine, les combinaisons proposées s’avèrent pratiquement identiques jour après jour. Et ceux qui font défiler TikTok le remarquent : le hashtag #OutfitGenerator compte 2,7K publications et approche les 7 millions de vues, mais les vidéos montrent presque toujours des silhouettes similaires, voire complètement identiques. L’intelligence artificielle promet la personnalisation mais, entraînée sur les pièces les plus populaires sur les réseaux et faciles à produire, elle finit par nous habiller tous de la même manière. Ce n’est pas un hasard si The Guardian, après avoir essayé Acloser pendant une semaine, qualifie l’utilisation de ces applis de «moyen pratique de réduire l’individualité et de pousser tout le monde vers le générique». Justement parce que l’algorithme simplifie et répète, les designers répondent avec une stratégie opposée : le layering, communément appelé "look oignon", pour créer une identité unique. Il consiste à superposer, mélanger, stratifier, un geste qui introduit de la complexité et du désordre dans l’uniforme minimal produit par les machines.
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Pour la SS25, le directeur créatif de Rabanne Julien Dossena construit ce qu’il définit comme une «boîte avec des jambes» - veste sur veste sur chemise rayée à moitié déboutonnée sur t-shirt, le tout sur un boxer-short ou une minijupe. Toutes les couches sont coupées à la même hauteur afin que l’ensemble du jeu de superpositions reste concentré dans une sorte de cube sur la partie supérieure du corps. Ce bloc compact brise la monotonie algorithmique. À l’inverse, The Row, dans sa collection SS25, adopte un layering construit sur des superpositions linéaires et des proportions réfléchies. Pas de mise en scène de défilé ni de téléphones, comme s’ils voulaient protéger une idée de la mode qui se vit avant d’être partagée. Un t-shirt blanc long sur une minijupe noire et un pantalon khaki ample, avec des tongs rouges qui rompent la palette neutre. Chaque couche est définie et en un seul coup The Row montre que la superposition n’est pas nécessairement excès mais peut être une soustraction calibrée. Avec la SS25 de Collina Strada, en revanche, le layering prend forme de manière fluide et spontanée. Une combinaison imprimée s’entrelace avec des tissus brillants couleur citron, drapés et froncés, laissant entrevoir un pantalon beige à lacets latéraux. Les superpositions ne suivent pas une logique fixe, mais se déplacent avec le corps, multipliant les textures et les asymétries.
Coach réinterprète aussi le layering pour la SS25, en le transformant en un jeu pop : le t-shirt classique "I ❤️ NY" dépasse sous une robe des années 70 à imprimé citron vert, complétée par un sac maxi décoré. Le résultat est un collage de références kitsch et de souvenirs urbains, plus de carte postale que de podium. La même tension se retrouve chez Magliano, Junya Watanabe et Ludovic de Saint Sernin. Magliano déconstruit avec une combinaison grise aux zips profonds, des pantalons asymétriques et des blazers effilochés, le tout complété par des claquettes rembourrées. La rupture des proportions devient sa signature. Watanabe, quant à lui, travaille sur des superpositions géométriques, souvent associées à des silhouettes oversize. Enfin, Ludovic de Saint Sernin mixe lingerie et streetwear : top sur body et robes sur pantalons. Pour chacun d’eux, le layering n’est pas seulement esthétique mais un langage de conception : une couche supplémentaire devient un message. Cette approche ne reste pas confinée aux podiums. Même la mode de rue l’adopte comme un geste de liberté. Brad Pitt a été photographié avec un sous-vêtement thermique sous un t-shirt taché, associé à un pantalon Magliano cousu avec différents tissus. «Il s’agit d’assembler des pièces pour tenter de créer quelque chose de nouveau et d’intéressant. Les limites ne me font pas peur, au contraire, elles me forcent à penser en dehors des cases pour les dépasser,» affirme le designer néerlandais Duran Lantink dans une interview pour Vogue Italia.
Là où l’IA cherche la cohérence, le layering transforme l’erreur en identité. Pourtant, le layering n’est pas une tendance récente. La première vague a eu lieu au début des années 2000 lorsque trois courants se sont croisés : le street style Y2K des sœurs Olsen et de Gwen Stefani, la culture skate hip-hop de la West Coast qui empile des T-shirts XXL sur des hoodies, et l’expérimentation de directeurs créatifs comme Marc Jacobs, Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto qui ont mis des jupes sur des pantalons et des blazers courts sur des chemises longues sur les podiums de Louis Vuitton lors de la FW 2001 et de Comme des Garçons en 2002. Le paradoxe est évident. L’intelligence artificielle réduit la tenue à une équation facile à vendre tandis que le layering répond par une panne volontaire : patchworks sombres, jupes sur pantalons, corsets sur vestes. C’est l’imperfection délibérée qui force à regarder deux fois et rappelle que le vêtement, avant de générer des likes et d’optimiser les KPI, sert à raconter qui nous sommes vraiment.






























