
Que doit-on attendre de la Slow Fashion Week de Marseille ?
Réponse avec Charlotte Denner, créatrice de CAPTCHA LAB et co-fondatrice du collectif BAGA à l’initiative de cette semaine hors-norme
06 Juin 2025
Ralentir. C'est le mot d’ordre de la Slow Fashion Week qui débutera demain, samedi 7 juin, au cœur de la cité phocéenne. Offrir des alternatives. Déconstruire nos a priori sur la mode consciente. Rencontrer ses acteurs et actrices. Fédérer toute une ville, mais aussi une industrie encore trop souvent adepte des baby steps en matière d’environnement. Répondre à l’urgence climatique. Trouver des solutions, ensemble. Si des défilés auront bien lieu (comme à Paris, Milan ou New York), cette semaine de la mode sera surtout moment de « mobilisation et d’expression artistique pour sensibiliser mais aussi agir ». De nombreux talks et workshops jalonneront la programmation, comme la conférence du lundi 11 juin sur la « Loi anti fast fashion et nouveaux modèles : combien de temps reste-t-il à la mode durable ? », animée par le directeur de l’entrepreneuriat de la Fédération française du prêt-à-porter, ou encore celle du 14 juin : « Trop grosse pour être stylé.e ? », en partenariat avec la marque de sous vêtements inclusifs We Are Jolies. « Ce format sur une semaine, 7 jours, all day, est idéal pour présenter le maximum de créations et sensibiliser », résume Charlotte Denner, l'une des co-organistrices de cette Slow Fashion Week avec qui nous avons eu l'occasion de papoter.
Charlotte précise que nombreux sont ceux qui veulent faire évoluer les choses : « En 2023, nous avons allié nos forces et BAGA est né avec cette envie de s’émanciper du rythme effréné que la mode nous impose ». Avec ses quatre Fashion Weeks par an, ses collections croisières, et ses pré-collections, les marques tiennent une cadence délirante. Et c’est derrière des portes souvent closes que ce spectacle a lieu. À Marseille, cette Slow Fashion Week s’adresse à « tous, curieux, professionnels, passionnés » contrairement à celles officielles qui trient les invités sur le volet. À Marseille, cet entre-soi n’existera pas, que ce soit du côté du public comme des marques. Charlotte insiste : « création émergente, oui, et de tous les milieux ». Cette semaine voit également le jour grâce au soutien de Benoit Payan, Maire de Marseille ou encore de la Fédération du prêt à porter. La Région et la Ville mettent notamment à profit des lieux emblématiques comme La Vieille Charité au coeur du quartier du Panier, le Mucem ou le Palais du Pharo, tout juste rénové où se tiendra le défilé de clôture pensé par le Studio Lausié, École de mode engagée et durable.
Au coeur de ce projet, il y a aussi une solidarité précieuse. Celle des membres du collectif, tous bénévoles, obligés de jongler entre leurs activités professionnelles souvent indépendantes, comme Charlotte, qui développe CAPTCHA LAB en parallèle, et leur investissement au sein de BAGA. Le collectif compte aussi sur la solidarité des Marseillais, professionnels de la mode ou non, pour les épauler, notamment lors des installations. L’entraide, autre mot d’ordre pour mener à bien cette Fashion Revolution. Faire table rase. « Pour moi, la mode de demain, c’est un tout », affirme Charlotte. « Elle englobe le ralentissement, comme son nom l’indique, mais aussi une manière plus consciente de produire, de fabriquer, de sourcer ». Repenser chaque étape de la chaîne : acheter local, revaloriser l’existant et éviter les pertes inutiles. C’est une mentalité avant d’être une esthétique. Une démarche qui exige de concevoir autrement, sans céder à l’appel du marketing ou à l’illusion du « responsable ». « Il faut réfléchir avant d’agir, utiliser les bons outils. L’IA, les logiciels comme CLO 3D permettent par exemple d’optimiser un patronage sans gaspiller de tissu. Ces technologies doivent nous servir à produire moins, et mieux. » précise Charlotte.
Cette exigence de cohérence guide aussi toute l’organisation de la Slow Fashion Week. « Pour BAGA et la SFW, nous avons mis en place un cahier des charges très précis. Chaque adhésion doit y répondre. L’impact de chaque événement sera mesuré, et une estimation de l’empreinte carbone globale sera rendue publique à la fin de la semaine ». Impossible donc de se cacher derrière un vernis greenwashing. Charlotte affirme fièrement : « nous formons de très bons enquêteurs et enquêtrices pour repérer les discours creux ». Car au-delà de cette semaine, le collectif œuvre toute l’année, entre pop-up, actions locales et collaborations avec le mouvement militant Fashion Revolution dont BAGA est devenu une antenne marseillaise. « Personnellement, j’y crois, et je suis ravie que les consciences soient en éclosion, enfin ». Le ton est à la lucidité mais aussi à l’espoir. « De plus en plus de solutions émergent pour répondre aux dégâts déjà commis par cette industrie. Mais nous restons très prudents : malheureusement, de nombreuses marques maquillent encore leurs impacts pour les transformer en arguments de vente. » Face à cela, BAGA veut être un contre-pouvoir : mettre en lumière les créateurs et créatrices moins connus, mais tout aussi talentueux, qui innovent et déconstruisent nos habitudes de consommation. « C’est une semaine de sensibilisation et d’action, mais aussi une impulsion à long terme. Nous sommes très optimistes », conclut Charlotte.
Une Charlotte bien occupée, qui en plus de co-organiser cette semaine de la mode ralentie, est également une créatrice textile française engagée, fondatrice de CAPTCHA LAB, un laboratoire créatif né en 2021 à la croisée du vêtement et de la performance. Son approche mêle innovation et engagement : elle travaille à partir de matériaux recyclés, explore la biofabrication et développe des pièces uniques conçues avec une exigence artisanale. À travers CAPTCHA LAB, elle collabore régulièrement avec des artistes performeurs et figures de l’art contemporain. Elle a même participé à la Dutch Design Week à Eindhoven. Durant la Slow Fashion Week de Marseille, elle présentera plusieurs projets : un solo show autour des biomatériaux et installations immersives se tiendra les 12, 13 et 14 juin à Sili (vernissage le 12 juin de 17h à 22h, au 7 bd Bel Air, 13012 Marseille). Elle organisera également un showroom CAPTCHA LAB en collaboration avec la marque Perturbation, du 9 au 14 juin, au 34 rue d’Isly, 13005 Marseille, ouvert de 12h à 19h.
En somme, la Slow Fashion Week de Marseille ne se contente pas de dénoncer les dérives de l’industrie : elle propose des pistes concrètes, ouvre des espaces de dialogue, et met en lumière celles et ceux qui fabriquent autrement. À travers cette initiative, c’est une autre vision de la mode qui s’esquisse : plus consciente, plus exigeante, mais aussi plus collective. Une invitation à repenser nos habitudes, à valoriser l’artisanat, l’innovation responsable, et à croire qu’un autre avenir pour la mode est non seulement possible, mais déjà en marche.