Les fans des directeurs créatifs sont-ils prêts à les suivre jusqu’au bout du mo(n)de ? Créatif ou célébrité, la ligne est fine

Cette année fut infernale en termes de changements de direction créative, et le jeu de la chaise musicale qui anime l’industrie ne semble pas prêt à se calmer. Après l’annonce du passage de Demna de Balenciaga à Gucci, de Matthieu Blazy de Bottega Veneta à Chanel et la tant attendue arrivée pas encore annoncée mais qui ne saurait tarder de Jonathan Anderson chez Dior après de bons et loyaux services chez Loewe, les initiés de la mode ont de quoi avoir le tournis. Mais au cœur de tous ces changements, de ces équipes qui se font et se défont, une question est récurrente: et les fans dans tout ça ? Vrai amoureux du Bottega de Blazy suivra-t-il le créateur Belge jusqu’au bout du monde, un monde fait non plus d’intrecciato et de cuir mais bien de tweet et de perles ? Qui dit nouveau directeur artistique dit certes nouveauté et éventuelle renaissance pour les marques, mais dit aussi parfois changement total d'identité créative et potentiel flop commercial et personnel. A moins que les clients des grandes marques ne suivent l’adage fan un jour fan toujours, pour le meilleur et pour le pire ? 

C’est un fait: certains créateurs de mode ont contribué non seulement au succès mondial et historique de grandes marques, mais ont aussi parfois participé à la résurrection de certaines. Inutile de citer Tom Ford, qui a littéralement sauvé Gucci de la faillite (qui d’ailleurs peine aujourd’hui à regagner son influence et prestige d’antan après un mandat peu conclusif pour Sabato de Sarno) et a marqué à grande échelle la mode de haut vol des années 2000. Pourtant on ne se souvient pas du Gucci des années 2000, on se souvient du Gucci de Tom Ford. On peut en dire presque autant de Jonathan Anderson chez Loewe, qui à défaut d’avoir épargné la fermeture à la maison espagnole, lui a apporté la renommée mondiale dont la marque jouit aujourd’hui à travers un travail bien construit et des pièces phares comme le sac puzzle. D’un autre côté, on peut dire que certains directeurs créatifs ont activement participé à la chute de la popularité des marques, comme Maria Grazia Chiuri chez Dior, qui peine à proposer des pièces dans l’air du temps, modernes et innovantes. Si l’on est sûrs que les fans de Loewe suivront Jonathan Anderson peu importe sa destination finale, on ne peut pas en dire autant des fans du regretté Dior de son créateur éponyme ou de John Galliano, qui a d'ailleurs emmené avec lui ses fans dans chacune des Maisons où il a fait escale, de Dior à Maison Margiela en passant par Givenchy.

Si les amateurs de logo et de pièces de luxe reconnaissables à des kilomètres à la ronde sont automatiquement moins touchés par les changements de direction au sein des marques, ce n’est pas le cas des collectionneurs de mode et des acheteurs passionnés qui voient en chaque directeur et en chaque mandat la possibilité de s’emparer d’un petit bout de l’histoire. Mais si certains se considèrent en deuil à l’idée du départ de leur directeur créatif préféré, certains voient là une possibilité de nouveauté et éprouvent un intérêt retrouvé à l’annonce de grands changements artistiques. L’exemple le plus parlant est celui de Matthieu Blazy, qui a l’annonce de son départ de chez Bottega Veneta a généré une augmentation des recherches sur la marque de pas moins de 150%, comme l’explique Noelle Sciacca responsable de la mode et des partenariats stratégiques chez The Real Real. « Nous avons constaté que les gens cherchaient spécifiquement Bottega, mais inscrivaient son nom dans la barre de recherche, explique Sciacca. Les directeurs artistiques deviennent une célébrité et un terme de recherche à part entière », précise-t-elle.  Un phénomène observé également chez Proenza Schouler à l’annonce du départ de ses fondateurs Jack McCollough et Lazaro Hernandez, suite à laquelle les recherches ont bondi de 30%. Plus que de “simples” créateurs, nos directeurs artistiques sont devenus de véritables stars, et plus que de simples changements d’employeurs, leurs déménagements au sein des différentes maisons de l’industrie sont devenus de véritables étapes de tournée, suivies scrupuleusement par leurs fans les plus aguerris qui compte bien être au premier rang pour leur prochain show. 

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