
Pourquoi les directrices artistiques restent-elles une exception dans le luxe ? Alors que les grandes maisons enchaînent les nominations, les femmes restent les grandes absentes des postes de direction artistique
Le jeu des chaises musicales bat son plein dans les grandes maisons de mode, entre départs soudains et nominations express. Derniers en date : Jonathan Anderson quitte Loewe et Demna Gvasalia Balenciaga. Si le premier est pressenti pour succéder à Maria Grazia Chiuri chez Dior, le second n’a pas tardé à être transféré d’une maison Kering à une autre. Ces changements, scrutés de près par le public, sont essentiels pour des marques en quête de renouvellement et d’attractivité. Pourtant, dans cette valse des directeurs artistiques, un constat s’impose : les femmes sont toujours sous-représentées. Un phénomène particulièrement marqué à Paris et Milan, contrastant avec l’émergence de figures féminines à la tête de labels, notamment londoniens.
À la tête de Versace depuis la mort de son frère Gianni en 1997, Donatella Versace a tiré sa révérence au lendemain de la Fashion Week parisienne. Son successeur, Dario Vitale, alors chez Miu Miu, a été nommé dans la foulée. Un passage de témoin expéditif qui a suscité l’indignation de certains créateurs, dont le Britannique Charles Jeffrey, qui a déclaré en story Instagram : « There is hardly any amazing women in creative director roles in this industry and one goddess had stepped down, let’s give her ten seconds, let’s have a moment and celebrate her. » Donatella Versace, figure de proue de la mode italienne aux côtés de Miuccia Prada, n’a pas eu droit aux hommages qu’on aurait pu attendre après trois décennies à la tête de la maison. Une situation qui rappelle celle de Maria Grazia Chiuri, première femme à diriger Dior, dont le départ se dessine à mesure que l’ombre de Jonathan Anderson grandit. À l’inverse, Chanel a pris le temps d’organiser la transition entre Virginie Viard et Mathieu Blazy, laissant le studio assurer l’intérim avant la prise de poste officielle.
Les groupes LVMH, Kering et OTB dominent le marché du luxe féminin, mais leurs directions artistiques restent largement masculines, bien que leurs collections s’adressent principalement aux femmes. Qui de mieux pour concevoir un vestiaire féminin ? Visiblement pas des créatrices, du moins au sein d’OTB, qui ne compte aucune femme à la tête de ses marques (Diesel, Marni, Maison Margiela…). LVMH affiche une légère ouverture avec Maria Grazia Chiuri (sur le départ) et Sarah Burton chez Givenchy. Chez Kering, seule Louise Trotter dirige la création de Bottega Veneta. Ce manque de représentation est d’autant plus frappant quand on sait que les écoles de mode comptent 80 % d’étudiantes. Pourtant, si des femmes occupent des postes clés en coulisse, elles sont rarement sous les projecteurs. Kering met en avant son engagement en faveur de la parité, affichant 55 % de femmes parmi ses managers, et se vante d’être l’une des sociétés les plus féminisées du CAC 40. Mais dans les faits, le poste suprême de directeur artistique reste quasi exclusivement masculin.
Selon une étude de Business of Fashion, seules 3 des 10 marques les plus virales de la Paris Fashion Week sont dirigées par des femmes. Ironie du sort : ces maisons ont été fondées par celles qui les dirigent encore aujourd’hui, à savoir Victoria Beckham, Stella McCartney (qui a d’ailleurs récemment racheté ses parts à LVMH) et Miuccia Prada. Serait-il nécessaire de créer sa propre marque pour accéder à la direction artistique ? Cette dynamique pousse de nombreuses créatrices à se lancer à leur compte, notamment au Royaume-Uni avec Grace Wales Bonner, Gabriela Hearst, Martine Rose ou Mowalola Ogunlesi. En France, Solène Lescouet, au Danemark Magda Butrym, en Pologne Cecilie Bahnsen, en Espagne Paula Canovas del Vas gagnent en notoriété. Ces nouvelles figures, qui imposent leur vision et leur identité, sont peut-être celles qui redéfiniront le futur de la mode. Si la mode a parfois un train d’avance sur la société, elle est ici en retard sur son temps. Loin d’une parité effective dans le monde du travail, les femmes peinent encore à accéder aux postes de pouvoir, et la direction artistique des grandes maisons ne fait pas exception. Tant que l’égalité ne sera pas une norme acquise, il y a fort à parier, que la mode continuera d’être dirigée, majoritairement par des hommes.

























