Les origines de la Tecktonik

Outre-Atlantique, on trouvait le krumping et le breakdancing, tandis qu'en France, émergeait la Tecktonik. Incontestablement, ce style de danse s'enracine profondément dans la culture populaire française. Tout débute au début des années 2000, une période où les adolescents arboraient des mobiles à clapet, des coiffures épineuses, des pantalons moulants, des ceintures cloutées et des gants fluorescents.

Voici l'histoire de ce phénomène culturel, en commençant par ses véritables origines. 

Le club Metropolis 

À cette époque, la danse française originale se limitait principalement au Can Can, un style peu adapté aux soirées en boîte de nuit. L'origine de Tecktonik remonte à Alexandre Barouzdin et son partenaire Cyril Blanc. Après des études de commerce international, Barouzdin s'installe à Londres, où il s'immerge dans le secteur des événements, particulièrement la vie nocturne, à une époque où les DJ de house et de techno étaient encore considérés comme underground. De retour à Paris, Barouzin et Blanc se lancent dans l'organisation de soirées destinées à la jeunesse parisienne. Le club Metropolis, entrepôt underground situé en banlieue parisienne dans le 91 devient le berceau idéal du mouvement. En peu de temps cette révolution atteint le centre ville, touchant des boites comme La Loco (ancêtre de la  Machine du Moulin Rouge),  le Mix Club et le Red Light à Montparnasse.

Les deux passionnés nocturnes cherchent à insuffler un nouveau souffle à une ville dépourvue de son propre style de danse. Aux rythmes enivrants du jumpstyle belge et des éléments hardstyle de la scène néerlandaise, ils donnent naissance à la Tecktonik, un nom inspiré des plaques tectoniques qui s'entrechoquent, créant des secousses telluriques. Les soirées au Metropolis, telles que Blackout, Electro Rocker et Tecktonik Killer, connaissent un succès populaire, attirant principalement les jeunes des banlieues et préservant ainsi son statut underground. Grâce à l'avènement d'Internet, la danse et son style caractéristique commencent à captiver un public plus large. À l'ère où les médias sociaux n'étaient pas encore prédominants, YouTube et Dailymotion régnaient en maîtres. Des vidéos de jeunes exécutant la Tecktonik se répandent rapidement, suscitant la curiosité des adolescents des quartiers du centre-ville pour ce nouveau phénomène underground. Ces vidéos deviennent virales, propulsant les mouvements de la Tecktonik dans des clips comme À cause des garçons de la chanteuse française Yelle. En septembre 2007, la Techno Parade, orchestrée par l'ancien ministre de la Culture Jack Lang, met en lumière cette tendance florissante, précédant l'intervention du Groupe TF1 en tant qu'ambassadeur culturel, visant à promouvoir le mouvement à l'international. Le mouvement s'infiltre dans les rues de Paris, les danseurs se réunissent pour des battles, des produits dérivés voient le jour, transformant rapidement ce mouvement autrefois underground en un produit d'exportation français, tandis que la scène internationale de la danse commence à s'y intéresser de près.

Bien plus qu'une danse

Décrire le style de danse n'est pas si facile. La Tecktonik est le résultat d'une fusion dynamique de divers styles électro, notamment Vertigo et Milkyway. Chaque style a apporté sa contribution distincte, reflétant la diversité de mouvements observée dans la culture hip-hop, où le "popping" et le "locking" coexistent harmonieusement. Cette danse électro contemporaine se caractérise par une fusion de mouvements parfois qualifiés de "violents", exécutés au rythme de la musique tech house et électro, créant une expérience puissante et électrisante. Inspirée également du voguing et du hip-hop, la Tecktonik a développé une grammaire de mouvements de base qui s'appliquent à une esthétique groove et clubbing. Les danseurs Tecktonik font preuve d'une agilité remarquable, déployant des mouvements de mains rapides et synchronisés, évoquant par moments le voguing, tandis que leurs jambes s'animent avec dynamisme, glissant fréquemment et changeant de direction en harmonie avec les rythmes rapides. La danse, bien qu'initialement perçue comme potentiellement spasmodique et désorganisée pour ceux non initiés, s'articule avec précision lorsqu'elle est associée à la musique, devenant ainsi une forme d'exercice athlétique.

L'attitude des danseurs joue un rôle crucial, marquée par de nombreux sourires et une aisance nonchalante qui définissent le style. La musique dicte les mouvements, tandis que le maintien du rythme et la précision robotique demeurent d'une importance capitale. En intégrant rapidement la Tecktonik comme un élément essentiel de la culture jeunesse française, cette danse s'est également associée à une mode distinctive. La coupe mulet, les couleurs vives, les vêtements moulants, et les pulls écourtés aux épaules sont autant d'éléments caractéristiques qui définissent l'appartenance au mouvement Tecktonik. Malgré son succès initial en tant que sous-culture underground, la Tecktonik a finalement cédé sous la pression du succès rapide et de la reconnaissance internationale, mettant ainsi fin à son éclat éphémère.

Les pièges d'une médiatisation excessive

La vénération du mouvement Tecktonik trouve son origine principalement dans son caractère clandestin, profondément enraciné dans la sous-culture. Sa médiatisation, suscitant à la fois l'attention et parfois des railleries, a été un élément clé. Soutenus par le groupe TF1, les fondateurs ont finalement concédé une licence à la marque, développant des partenariats et lançant une gamme de produits arborant fièrement l'emblème de l'aigle de la franchise. Des boissons énergisantes aux sacs en passant par les t-shirts, le succès commercial a été fulgurant. L'ouverture d'une boutique à Paris a généré des files d'attente impressionnantes. Cependant, malgré l'afflux financier, la popularité du mouvement a commencé à décliner. L'intense couverture médiatique a dévoilé ce qui se cachait dans les boîtes de nuit clandestines, et la prolifération de produits dérivés a graduellement relégué la danse elle-même au second plan.

Progressivement, la Tecktonik a évolué d'un mouvement culturel rassemblant la jeunesse autour d'un concept original à un véritable business. Selon Murielle Lellouch, amie proche des fondateurs et gérante du magasin phare parisien, «L'aspect grande distribution a étouffé l'essence fondamentale». Les soirées dédiées ont cessé, les groupes se réunissant au Trocadéro pour des battles ont disparu, et le mouvement s'est éclipsé dans l'ombre. Malgré cela, la Tecktonik demeure synonyme de sous-culture française. Ceux qui ont participé aux événements de danse au début des années 2000 se remémorent avec émotion l'époque où la France était le berceau d'un mouvement de danse novateur. Aujourd'hui encore, après quelques verres, des Français fidèles (pour ne pas dire nous) exhibent avec fierté leurs mouvements de danse Tecktonik, perpétuant ainsi son héritage dans la mémoire collective.