Le retour imparfait de l’apéritif des années 80 À travers la collaboration de Le Cornichon × Bar Nico, l’esprit milanais se déplace à Paris et questionne la convivialité contemporaine

Né comme une passerelle entre le travail et le dîner, l’apéritif des années 80 est devenu l’un des rituels urbains les plus emblématiques d’Italie. À Milan, Turin et Bologne, il construisait un langage commun : un verre, une petite assiette salée, un comptoir sur lequel s’appuyer. Dans cette décennie marquée par la consommation et la publicité, il fonctionnait comme une démocratie esthétique : Campari, verre épais, lumière chaude. Les plateaux en acier circulaient dans la salle, chargés d’olives, cacahuètes, chips, tramezzini et canapés au thon ; les sous-verres en carton, serviettes gaufrées et cendriers pleins dessinaient la chorégraphie d’un temps collectif. Les étagères à bouteilles miroitantes, les siphons à seltz, les plans en formica brillant et les néons dorés donnaient au bar la dimension d’un petit théâtre du quotidien, où des identités différentes partageaient le même espace.

Cette esthétique, verres ballon, tons ambrés, snacks essentiels, traduisait une idée politique du plaisir : donner forme à un confort urbain qui rendait supportable la fatigue du jour. C’était un rituel optimiste qui, pourtant, cachait déjà les premières inégalités de la modernité : derrière l’hédonisme, grandissait la distance entre ceux qui avaient accès aux lieux et aux rythmes, et ceux qui en restaient à la marge. Aujourd’hui, l’apéritif réapparaît comme un geste collectif. Non plus simple image, mais besoin de présence après des années de relations filtrées et d’espaces numériques. Les lumières tamisées font alors leur grand retour, tout comme les verres épais, les portions à partager et surtout le désir d’une lenteur praticable. Mais cette renaissance est ambivalente : la dimension populaire s’amenuise, les codes d’accès deviennent plus subtils. Là où, dans les années 80, on partageait un même espace,  le comptoir, le verre, le temps, on partage aujourd’hui une curation. Le geste demeure, mais sa grammaire devient aspirationnelle.

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Dans ce cadre s’inscrit le 22 octobre, avec la deuxième collaboration entre Le Cornichon et Bar Nico, une expérience milanaise singulière à Paris, pendant Art Basel. La rencontre entre ces deux lieux, devenue un véritable rituel, n’est pas un simple hommage au passé, mais une occasion de lire le présent. Apporter une sensibilité milanaise à la Rue des Goncourt, pendant la semaine où la ville expose son capital symbolique, revient à créer un espace où le langage de l’apéritif, fait d’accords légers, de design et de rituel partagé, se traduit en une convivialité actuelle et accessible. Trois mots restent centraux : accès, temps, travail. Accès : comment rendre la pause aussi ouverte que possible, sans renoncer à la qualité. Temps : dans quelle mesure une semaine d’art peut-elle aussi devenir hospitalité réelle. Travail : donner de la visibilité à ceux qui soutiennent le rituel, salle, cuisine, bar, fait partie de la même idée de convivialité.

Si ce retour veut être plus qu’un geste esthétique, il demande des choix concrets : des prix lisibles, des options low/zero alcool à égalité, une carafe d’eau servie sans qu’on la réclame, des tables pensées pour la rencontre. Ainsi, l’écho des années 80 peut inspirer de nouvelles pratiques de sociabilité, au-delà de la simple esthétique. L’enjeu n’est pas de reproduire le passé, mais d’en retrouver la fonction : créer de la proximité. L’apéritif revient parce qu’il promet un temps partagé dans des villes toujours plus polarisées. Son imperfection est aussi sa vérité : il ne peut pas restituer l’égalité perdue, mais peut offrir, le temps d’un verre, la possibilité de nous reconnaître encore comme partie d’un même paysage urbain. Peut-être est-ce là le sens ultime de cette nostalgie liquide : comprendre que, derrière la surface dorée du verre, ce que nous cherchons n’est pas le passé, mais un présent dans lequel il est encore possible de rester.

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