L’art minimaliste et solidaire s’expose à Paris Quand la Bourse de Commerce et la Monnaie de Paris explorent la valeur au-delà de l’argent
Quand nous étions enfants, on nous demandait souvent : « Que veux-tu faire quand tu seras grand ? » Question à laquelle nous répondions : professeur, avocat. écrivain, et ainsi de suite, énumérant tous les métiers de rêve qui pourraient un jour nous définir. Aujourd’hui, l’idée du travail évolue. Le marché de l’emploi semble être à un point de bascule. Selon le Forum économique mondial, l’intelligence artificielle transforme le marché du travail et met de nombreux emplois en danger, mais la plus grande perte de toutes est celle du sens, de l’identité et de l’appartenance sociale. Alors que la plupart des discussions mondiales se concentrent sur la productivité, la réglementation ou le gain économique, ce qui reste largement méconnu, c’est le coût psychologique de cette réalité sur les individus. Pour la première fois depuis longtemps, beaucoup sont forcés de se demander : Où réside ma valeur ? Nous nous tournons vers l’art pour trouver des réponses.
À la Monnaie de Paris, l’institution gouvernementale chargée de produire les pièces françaises, les questions de valeur apparaissent, presque littéralement, dans la nouvelle installation Espèces humaines / Fides. Commandée au duo irlandais basé à Marseille gethan&myles, en collaboration avec l’association humanitaire La Chorba, l’œuvre est décrite comme « une réflexion à la fois poétique et politique sur la valeur, la solidarité et notre rapport collectif à l’argent ». Peut-être même sur nous-mêmes. Conçue spécialement pour l’une des salles du parcours permanent du musée, l’installation présente un tas de pièces invitant à la contemplation. Dépourvues de toute valeur financière, ce qui était autrefois précieux est désormais démonétisé. L’œuvre se conclut par un choix : chaque visiteur reçoit une pièce, et il lui revient de décider quoi en faire. La remettre sur le tas ou la garder comme souvenir ? Bien qu’elle ne vaille plus rien, sa nouvelle valeur est celle que nous choisissons de lui donner.
À la Bourse de Commerce, l’exposition Minimal, organisée par Jessica Morgan, directrice de la Dia Art Foundation, semble offrir une réponse. Ici, la valeur ne se trouve plus dans les symboles ou la spéculation, mais dans le tactile et le sensoriel, dans le travail, le soin, les matériaux, l’histoire et l’expérience. L’artiste new-yorkaise Meg Webster présente des œuvres créées entièrement sur place avec des matériaux locaux. Ses installations, faites à la fois d’éléments naturels et industriels, ressemblent à un antidote à un monde de plus en plus automatisé. Mother Mound, structure en forme de dôme faite de terre, réagit à son environnement et évolue subtilement avec le temps. Autour d’elle, des œuvres telles que Wall of Wax, réalisée en cire d’abeille parfumée, Circle of Branches, assemblée à partir de végétation locale, Cono di Sale, formée de sel, et Mound, modelée à partir de sol. Toutes ses œuvres semblent indiquer un retour à la nature. L’artisanat, le travail manuel et la nature sont-ils donc essentiels à notre survie ?
À juste titre, le travail de Webster occupe le cœur de l’exposition, qui réunit les œuvres de 52 artistes venus d’Europe, d’Asie et des Amériques, et se divise en sept sections : Lumière, Mono-ha, Équilibre, Surface, Grille, Monochrome et Matérialisme. Le minimalisme de Dan Flavin et de Chryssa fait écho aux enseignes commerciales et à la publicité. La série Water Composition de Senga Nengudi, que la commissaire Morgan décrit comme une réponse à la pression et à la gravité, présente un liquide enfermé dans du plastique, s’affaissant lourdement sur le sol, retenu par des cordes comme des membres fatigués ou blessés — presque une représentation du poids des réalités. La sculpture River Floor de 9 mètres de Marden Hassinger s’étend à travers la galerie, utilisant des cordages marins pour raconter l’histoire des voyages transatlantiques des Africains réduits en esclavage vers les Amériques. L’œuvre attire l’attention sur les voies navigables qui ont facilité la traite des esclaves, ainsi que sur les effets destructeurs de l’industrialisation sur la vie et le travail. Ces artistes, parmi tant d’autres, ont radicalement transformé l’art dans les années 1960 et 1970, « en partie en réponse aux évolutions politiques, sociales et technologiques », en utilisant « des formes épurées, des matériaux du quotidien et une interaction directe avec l’environnement ».
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Au sein de la Bourse de Commerce se trouve également Weaving Space, une exposition spéciale consacrée à l’artiste Lygia Pape, mise en place par Emma Lavigne. Sur un grand écran, sa performance de 1968 Divisor tourne en boucle. Elle met en scène une centaine de personnes de tous horizons marchant sous un immense drap blanc, seules leurs têtes apparaissant à travers de petites ouvertures. Dans ce vêtement partagé, les classes et les hiérarchies n’existent pas. Tous sont égaux dans leur participation à un système où la valeur d’un individu se mesure à sa productivité et à ses possessions. Faisant partie d’un « tissu » bien plus vaste que nous-mêmes, la confiance et la communauté deviennent la monnaie. Dans une autre salle, une autre de ses œuvres, Ttéia 1, C, se dresse comme une pièce maîtresse, composée de fils dorés cloués sur du bois, créant un jeu stratégique de lumière et de formes. Comme la valeur elle-même, ses limites semblent indéfinies.
Ensemble, ces œuvres nous invitent à repenser la valeur, le sens et la monnaie. Le monde n’attend pas. Il continue de changer. Mais par où commencer ? Peut-être par l'instant présent. La nouvelle monnaie, suggèrent ces expositions, n’est peut-être plus ce que nous croyons connaître. La valeur émerge dans la communauté, dans l’artisanat, dans le soin. Dans notre présence physique et dans nos rêves. Peut-être même dans les choix qui nous rappellent ce que signifie être humain.
Minimal se tient à la Bourse de Commerce jusqu’au 16 janvier 2026, tandis qu'Espèces Humaines/Fides sera au Musée de la Monnaie de Paris jusqu’au 8 mars 2026.