La cuisine est la muse ultime des photographes du siècle dernier Petite histoire de la nourriture devant l'objective, du XXe siècle à aujourd'hui

Dans n’importe quel pays du monde, la possibilité que la première leçon d’art plastique soit tournée autour d’un bol de fruit à reproduire en dessin est assez élevée. Même les jeux vidéos qui abordent le thème de l’art si on y pense, comme le jeu pour nintendo Art Academy, posent en grande majorité les bases à partir d’une pomme. Et bien c’est un peu la même chose pour la photographie, comme le démontre Dans ma cuisine, une exposition retraçant la place de la nourriture dans l’imaginaire photographique du XXème siècle, ouverte jusqu’au 31 juillet à la galerie Les Douches à Paris. Des pâtes alphabet de Henri Foucault aux pommes de terres germées de Roger Catherinau en passant par les fruits et légumes congelés d’Irving Penn, l’exposition est une véritable ode à l’art culinaire capturé à travers l’objectif des plus grands. Mais la tendance est loin de se limiter à encadrer une photo de nasse à poissons, et semble en 2025 se développer en un réseau plus large de créatifs émergents qui font de la cuisine leur muse incontestée. 

Tout commence au XXème siècle, tandis que des tendances diverses et variées traversent le monde de la photographie, du pictorialisme au constructivisme en passant par la nouvelle objectivité, l’art de la table se fraye lui aussi un chemin devant l’objectif. Et ce grâce notamment à Nicéphore Niépce et sa Table servie, qui fait passer au premier plan des scènes autrefois cachées, comme les préparatifs d’un repas, présentant le cadre intimiste et caché de la cuisine sous un jour nouveau. Débarque ensuite la guerre mais surtout l’entre-deux guerre et ses artistes, qui revoient leur conception de la photographie et lui donne une tournure nouvelle, plus humble, quotidienne, accessible, voire banale. Les photographes doivent se limiter à ce qu’il leur reste de la guerre, mais trouvent ainsi une inspiration nouvelle dans les objets de la cuisine et leur texture. A l’arrivée des années 30, André Kertész ajoute également sa pierre à l’édifice avec une image qui deviendra très vite iconique : celle d’une fourchette posée sur une soucoupe, entourée d’une luminosité étudiée, dans un jeu d’ombre et de lumière intéressant. Arrivent ensuite sur la scène créative Erwin Blumenfeld, photographe de mode renommé, notamment pour Vogue et Harper’s Bazaar, et ses soyeuses poires coupées en deux, ainsi que Irving Penn et ses natures mortes, comprenant asperges, maïs et myrtilles, dans un jeu de texture, de superposition et de construction. Au fil des années, la photographie culinaire se détache de l’objet et se recentre sur le contexte, en montrant les femmes qui y sont cachées, confinées, cantonnées. Dès les années 70, le couple Blume va à son tour ajouter un brin de nouveauté au mouvement en lui proposant une approche plus futuriste, faite de marmites volantes et de soucoupes menaçantes. Le mouvement feministe quant à lui continue avec Michel Journiac, qui déguisé en ménagère, se représente sur ses clichés en train de faire la cuisine et la vaisselle pour son mari. Mais bien que l’exposition se concentre sur ces artistes emblématiques du siècle dernier, aujourd’hui encore, l’art de la photographie culinaire, réadapté aux codes actuels, continue de briller. 

En témoigne Caro Diario Paris, de son vrai nom Zélikha Dinga, créative culinaire, qui propose sur son compte Instagram des clichés mettant en scène des plats ou même des encas à l’esthétisme tellement parfait qu’il en devient satisfaisant. « Certain·es utilisent le terme "artiste culinaire", moi je préfère dire "créative culinaire", je le trouve plus fidèle à ce que je fais au quotidien. Pour être honnête, la plupart de mon travail actuel consiste à diriger Caro Diario comme un studio » nous explique-t-elle dans une interview que vous pouvez retrouver dans Paris Future, le premier numéro imprimé de nss france. Dans les clichés de Caro Diaro, la nourriture est simple, et pourtant représentée de manière si complexe : « Une créative culinaire, ou designer culinaire, doit penser visuellement : que peut-on créer avec des aliments en termes de forme, texture, couleur, assemblage ? » « Caro Diario, c’est la beauté, la joie, l’émerveillement. Je veux que les gens trouvent le résultat beau, qu’ils se demandent comment on a fait, qu’ils aient l’impression de ne jamais avoir vu rien de tel avant, et qu’ils soient ensuite surpris par le goût. C’est essentiel pour moi de garder une forte énergie créative. » conclut-elle. Une forte énergie créative, c’est certainement ce que l’on ressent à la vue des patates volantes de Journiac ou des pâtes de Foucault. Si on nous répète depuis toujours de ne pas jouer avec la nourriture, peut-être qu’une session dessin à l’aide de confiture sur notre tartine grillée le matin mettrait un peu de joie et de créativité dans notre vie au final.  

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