
La surprenante normalité du nouveau Dior de Jonathan Anderson Une nouvelle ère, plus domestique, s'ouvre pour la maison
Il y avait ceux qui attendaient une révolution et d’autres qui criaient déjà au désastre. Mais dans les deux cas, Jonathan Anderson a dépassé les attentes avec ses débuts chez Dior. Sans aucun doute, c'était le défilé le plus attendu de la saison et, comme on le sait, pour réinventer Dior (du moins, pour l’instant, son versant masculin), on ne peut pas tout révolutionner d’un seul coup – le temps n’a d’ailleurs pas été en faveur du grand designer nord-irlandais. L’homme Dior qu’Anderson a présenté n’a cependant pas perdu l’esprit excentrique qu’il emmène toujours avec lui. Mais désormais, cette excentricité se loge dans les murs bien plus aristocratiques, voire même plus hautains, de la Maison Dior, et ainsi plusieurs envolées aperçues sur le podium, notamment dans les proportions évasées des Bar Jackets masculines ou dans ces bermudas cargo qui se transformaient en nuages baroques de tissus superposés et enroulés sur eux-mêmes, ont dû coexister avec un ton général plus sérieux que prévu. On ne peut pas dire non plus que le virtuose Anderson soit allé bien au-delà du territoire exploré chez Loewe : on y retrouvait des manteaux façon robes de chambre, des vestes s’étirant comme des chemises oversize, des costumes formels coupés assez courts pour dévoiler un centimètre de peau à la taille des mannequins, des cols contrastés et même l’astuce des foulards en soie portés à l’intérieur, dépassant sous l’ourlet des pulls. Ceux qui le connaissent l’ont reconnu.
Plus surprenant a été le choc de garde-robes très différentes : des baronnets anglais avec des cravates qui auraient fait pâlir de jalousie Lord Byron, de vifs garçons des années 70 en total look denim mais avec cravate et chemise ; mais aussi quelques accents de réalités plus populaires, avec un flot de denim et des sneakers très similaires à des Nike Dunk ou aux Vans Authentic classiques. Une sorte de multivers de références où des baskets en toile peuvent être assorties à des capes du XIXe siècle et à des manteaux en lourd velours bleu, portés torse nu mais avec ladite cravate, associés à des jeans et des sandales de pêcheur en daim. Partout, une cascade de bleus et de turquoises, une profusion de gilets, des pulls torsadés d’où surgissaient parfois de micro-broderies florales. Plusieurs looks jouaient sur une opposition entre le haut et le bas : nobles au-dessus de la taille mais tout à fait prosaïques en dessous du nombril. L’ensemble soutenu par un stylisme volontairement désordonné, avec des ourlets de pantalons précipitamment rentrés dans les chaussettes, des cravates mises à l’envers, des cols dressés à moitié – tout suggère une tentative de réconciliation entre les deux âmes de Dior : celle aux inflexions streetwear et celle de la somptueuse Haute Couture, un chemin qui continuera à coup sûr dans les prochaines collections et qui sera suivi avec un intérêt certain.
En fin de compte, c’était une collection au style affirmé même si peut-être déjà familière – Anderson, comme on dit, a préféré y aller doucement, devant également concilier les exigences d’image avec celles des ventes. Ce qui est excellent, c’est qu’il a posé ses fondamentaux : les chemises à rayures, une palette de couleurs apaisante, le charme presque accueillant et domestique de la maille grise avec toutes ses possibilités d’association, qui évoque la garde-robe de Basquiat, grand amateur de ces tons autant que de cravates desserrées portées avec nonchalance. Le sentiment actuel (qui sera sans doute démenti dans une ou deux collections, nous en sommes certains), c’est que les contraintes de temps et la nécessité de marquer les esprits dès le début ont dicté la relative conventionnalité d’une collection solide, agréable sans pour autant émouvoir profondément. Nous attendons que les ailes de la fantaisie d’Anderson se déploient – et sans aucun doute, la marque s’envolera elle aussi.









































































