
Pourquoi le monde entier s’arrache les lunettes made-in-france en 2025 Le nouvel empire du luxe ne se porte pas sur l'épaule mais bien sur le nez
Il n’est peut-être pas surprenant que les lunettes soient devenues l’un des moteurs de profit les plus affirmés du marché du luxe actuel. Selon Statista, le marché mondial de l’optique était évalué à 146 milliards de dollars US en 2023, et devrait dépasser les 172 milliards d’ici 2028, avec une croissance annuelle de 4 à 6 % – dépassant les sacs à main et les baskets en vitesse comme en marge. Au premier trimestre 2025, EssilorLuxottica, basé à Paris – responsable d’environ une paire de lunettes sur quatre vendue dans le monde – a enregistré un chiffre d’affaires de 6,85 milliards d’euros, en hausse de 8,1 % par rapport à l’année précédente. Leurs boutiques et sites web ont connu la plus forte croissance (+11 %), tandis que leur activité professionnelle (produits vendus via les cabinets d’optique) a augmenté de 5 %. Toutes les régions ont enregistré des gains : l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique en tête avec près de 10 % de croissance ; l’Asie-Pacifique et l’Amérique latine ont chacune progressé d’environ 10 % ; et l’Amérique du Nord de 4 %. Tout cela est soutenu par un réseau de 17 624 boutiques à travers le monde – preuve que les lunettes sont devenues un véritable accessoire de mode incontournable de saison.
En France, les lunettes de vue représentent encore la majorité des ventes, mais les vraies marges se trouvent désormais dans les montures haut de gamme. EssilorLuxottica a misé sur les lignes premium et les marques de niche, acquérant des start-up spécialisées dans les technologies optiques et des marques régionales pour asseoir son leadership. Sur le plan culturel, le virage esthétique est évident, marqué par la montée des boutiques exclusivement dédiées aux lunettes et des marques communautaires – comme Gentle Monster, dont les collaborations répétées avec de grandes maisons en ont fait une force à la fois mode et culturelle. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Une monture en acétate de qualité coûte souvent aussi peu à produire qu’un petit article de maroquinerie, mais peut être vendue jusqu’à douze fois son coût de fabrication. En y ajoutant des caractéristiques à forte valeur ajoutée comme les filtres anti-lumière bleue, les traitements anti-rayures ou les verres dégradés, les marges augmentent encore. Les lunettes se portent sur la partie la plus photographiée du corps – le visage – ce qui favorise un renouvellement saisonnier que les sacs à main ne peuvent égaler.
Très en vue actuellement, Chrome Hearts s’impose comme l’une des marques de lunettes incontournables du moment, grâce à ses designs audacieux et immédiatement reconnaissables – rappelant des bijoux de visage et définis par un travail du métal exquis et complexe. Le marché français a toujours été un haut lieu du shopping optique. JF Rey séduit tout autant, avec une approche vibrante de l’innovation française, utilisant des matériaux inattendus et des palettes de couleurs audacieuses pour ravir les amateurs de mode en quête d’originalité. Cartier, indifférent aux tendances passagères, reste une valeur sûre de l’élégance intemporelle, ayant révolutionné les montures sans cerclage avec des pièces emblématiques comme la Santos de Cartier Wood Rimless, bien que la maison reste surtout connue pour ses montures en bois. Basée à Paris, la marque Lucas de Staël est également très appréciée, utilisant des matériaux naturels comme le cuir de galuchat issu de sources éthiques, la pierre ou la marqueterie en coquille d’œuf. Jacques Marie Mage, de son côté, transforme les lunettes en objets d’art, avec des designs luxueux et sophistiqués ainsi qu’un packaging somptueux – séduisant les collectionneurs qui voient en elles des sculptures portables. Enfin, AHLEM, fondée par la Parisienne Ahlem Manai-Platt à Los Angeles, mêle le minimalisme californien à la précision française, créant des montures aux lignes pures et aux détails soignés.
Ce qui distingue la France dans cette explosion mondiale de l’optique, c’est bien sûr son savoir-faire artisanal, mais aussi son contrôle sur la chaîne d’approvisionnement, le pays produisant encore l’acétate haut de gamme utilisé par les plus grandes maisons européennes. Vuarnet fabrique toujours ses verres minéraux emblématiques dans son usine de Meaux, en région parisienne. La marque indépendante Anne & Valentin travaille dans des ateliers où la production à petite échelle et la finition à la main sont au cœur de son identité. Parallèlement, Izipizi – marque plus grand public née dans le Marais à Paris – s’est considérablement développée, avec aujourd’hui 26 boutiques dans le monde, dont 9 à Paris, et une présence chez Selfridges à Londres ou au MoMA Design Store à New York. La marque s’est également engagée à convertir l’ensemble de sa gamme en matériaux biosourcés d’ici 2025 – prouvant une fois de plus que durabilité et croissance ne sont pas incompatibles. Alors que l’innovation s’accélère, la réglementation se durcit. Les préoccupations liées à la libération de microplastiques et à la gestion des déchets en fin de vie entraînent un contrôle accru des autorités européennes et françaises, poussant les marques à justifier leurs engagements environnementaux par des audits de cycle de vie et des programmes de recyclage. À Paris, l’ascension des lunettes n’est pas qu’esthétique – elle marque un tournant dans la manière dont le luxe est porté, stylisé et commercialisé. De simple accessoire, elles sont devenues l’élément central de la saison. Le futur du luxe repose, littéralement, sur l’arête du nez, et la France demeure, à bien des égards, le prisme le plus éclairant de l'industrie.

























