
Entretien avec les finalistes qui font du Prix LVMH 2025 un moment à suivre Huit créateurs de mode qui sont bien partis pour définir la décennie à venir
Avec des anciens participants comme Demna, Jacquemus, Marine Serre ou Ahluwalia, le Prix LVMH n’est pas seulement une récompense – c’est une prédiction de ce qui (ou plutôt qui) va façonner la mode. Dernière preuve en date : le lauréat du Prix Karl Lagerfeld 2024, Duran Lantink, vient d’être nommé directeur artistique de Jean Paul Gaultier, confirmant ainsi la réputation du prix comme véritable tremplin. Cette année, plus de 2 000 créateurs ont postulé. Mais seulement huit ont été sélectionnés. Le 3 septembre, ils présenteront leur vision à la Fondation Louis Vuitton à Paris, où seront révélés les lauréats du Grand Prix, du Prix Karl Lagerfeld et du Prix Savoir-Faire. Et selon nous, chacun d’eux façonne déjà l’avenir de la mode. À leur manière. Alors faisons les présentations.
Alainpaul
Alain Paul navigue instinctivement entre vêtement et mouvement. Avec son partenaire Luis Philippe, il a cofondé ALAINPAUL en 2023, une marque où le tailoring rencontre la chorégraphie, et où l’art se niche dans chaque pli. Ancien danseur formé à l’École Nationale Supérieure de Danse de Marseille, Alain confie à nss que, même si la danse fera toujours partie de lui, la marque entre dans une nouvelle phase. « Je veux amener la garde-robe du danseur dans la rue », dit-il. Le résultat ? Des pièces comme celles de la collection “Impro”, présentée à la Fashion Week de Paris : fluides, libres, pensées pour la vraie vie – et annonciatrices d’un renouveau. Avant de lancer sa propre marque, Alain a affûté son œil auprès de Demna chez Vetements et du regretté Virgil Abloh chez Louis Vuitton. « Ils m’ont appris à faire confiance à ma vision, à ne pas craindre la démesure », confie-t-il. Chez ALAINPAUL, la durabilité n’est pas un mot-clé mais une évidence. « C’est une priorité depuis les premières saisons », explique-t-il. Environ 60 % des tissus proviennent de stocks dormants ; les autres sont choisis pour leur traçabilité et leur impact. Le polyester vierge est banni. Le coton bio, le nylon recyclé, la soie et les cuirs vintage récupérés sont privilégiés. « On a fait une veste à partir de quatre anciennes. C’était plus logique que de repartir de zéro. » Être finaliste du Prix LVMH 2025 est un tournant. « On était dans notre appart quand on l’a appris. On ne s’y attend jamais », dit Alain. « Tu doutes, tu te demandes : “Est-ce que les gens comprennent ce qu’on essaie de faire ?” » Aujourd’hui, avec la reconnaissance d’une des plus grandes plateformes de mode, ALAINPAUL passe à la vitesse supérieure. « On aimerait élargir la manière dont la marque présente les vêtements – via des performances, des collaborations. » Peut-être même avec des danseurs ou des chorégraphes ? Il suffit de rester à l’écoute pour le découvrir.
Francesco Murano
« J’adore le drame », confie Francesco Murano à nss, les yeux brillants en évoquant son évolution créative. « Mais j’ai aussi appris à exprimer ce drame de manière plus légère, plus portable. » Connu pour ses drapés défiant la gravité et ses silhouettes sculpturales qui subliment la forme féminine, la vision de Murano puise dans des souvenirs d’enfance : les broderies de sa grand-mère, ses premières expérimentations textiles, et une fascination profonde pour l’art classique et la sculpture. Après des études à l’Istituto Europeo di Design de Milan, sa collection de fin d’études attire l’attention de la styliste de Beyoncé, débouchant sur une tenue sur mesure pour la chanteuse lors d’un brunch pré-Grammys – un tournant qui lui apporte assurance et exposition. Depuis 2020, Murano fonctionne sur commande, perfectionnant son art avec rigueur. « Je fais tout, de l’idée au patron, jusqu’à l’échantillon final », explique-t-il. En parallèle de sa marque éponyme, il a affûté sa technique chez de grandes maisons, notamment Alberta Ferretti, où il a passé plus de deux ans à parfaire ses drapés signatures. « J’y ai appris la précision. Cela m’a permis de structurer le côté irrationnel de ma créativité. » Avec son premier défilé désormais accompli, Murano est à l’aube de sa plus grande opportunité. « Être finaliste est surréaliste », dit-il. « J’ai postulé sans rien attendre. Être l’un des huit choisis parmi des milliers est déjà une victoire. C’est la preuve que le travail paie. Et ça, c’est énorme. »
Zomer
Imaginez Zomer comme un jeu vidéo : il mettrait en scène des vêtements sensibles à l’humeur, des sculptures-nuages et des peintures-vent. « C’est un peu utopique, presque étrange », raconte Danial Aitouganov à nss, ajoutant : « Des îles flottantes avec des cascades, des arbres qui ne suivent pas les lois de la nature. » Pour lui, Zomer n’est pas qu’une garde-robe – c’est un monde dans le monde. Et franchement, séjourner dans ce monde ne serait pas pour nous déplaire. Né au Tatarstan et élevé aux Pays-Bas, Danial a étudié le design à l’AMFI, la plus grande école de mode du pays. Son cofondateur, Imruh Asha, un créatif néerlandais-caribéen qui a contourné les écoles de mode, est entré tôt dans l’industrie, travaillant en concept store et comme styliste. Les deux se rencontrent à Amsterdam et lancent Zomer en 2023, après près de dix ans en coulisses. Aujourd’hui basés à Paris, ils affirment : « On en avait marre de construire la vision des autres. Il est temps d’exprimer la nôtre. » Le cœur de la philosophie Zomer ? Le jeu. « Cette énergie nous est venue naturellement », expliquent-ils. « Jouer, c’est la liberté, créer sans limites ni règles. On suit l’intuition. C’est une forme d’exploration. » Chaque saison est un nouveau niveau : couleurs vives, coupes instinctives, et des pièces en mouvement. À peine quatre collections, et déjà finalistes du Prix LVMH. « C’est irréel. On est reconnaissants. Mais maintenant, place à la finale. » En regardant vers l’avenir, ils imaginent élargir l’univers Zomer : « Des boutiques-galeries, un parfum, peut-être même du maquillage. On veut grandir – et s’amuser en le faisant. »
Tolu Coker
Lorsque la créatrice britanno-nigériane Tolu Coker a appris qu’elle était finaliste du prestigieux Prix LVMH 2025, cela lui a semblé être un doux murmure de ses ancêtres. « C’est une confirmation que tu suis le chemin qu’ils ont rêvé pour toi », confie-t-elle. « Je suis encore en train de digérer. Encore en train d’absorber. » Depuis le lancement de sa marque éponyme en 2018, Coker a captivé l’attention mondiale, avec des créations portées par des icônes du style telles que Rihanna et Thandiwe Newton. Son travail, profondément enraciné dans son héritage, mêle artisanat africain et design contemporain. Coker réinvente des matériaux récupérés et recyclés à travers des coupes et formes innovantes, prouvant que la durabilité et la haute couture peuvent coexister. Le batik, le tissage sur métier et la broderie à la main rencontrent des technologies modernes, créant une fusion harmonieuse entre histoire et identité. Ce n’est pas seulement de la mode, c’est une redéfinition du design. Pour Coker, il ne s’agit pas de luxe, mais de rendre hommage à la culture, promouvoir la durabilité et faire avancer l’équité sociale. Sa marque dépasse le vêtement pour s’étendre à des expositions, des films et des initiatives mondiales, remettant en question les normes de l’industrie et utilisant le pouvoir du design pour inspirer le changement tant attendu.
Soshiotsuki
Le tailoring est entre de bonnes mains avec le créateur Soshi Otsuki. Il est en train de reprogrammer la pratique, espérant changer la façon dont les gens perçoivent les costumes en général. « J’aimerais changer la perception mondiale des costumes », a récemment déclaré le créateur japonais de 35 ans au Monde. Avec un bagage en arts du spectacle traditionnels japonais et une formation au Bunka Fashion College ainsi qu’à Coconogacco, on remarque que les silhouettes d’Otsuki sont précises mais jamais rigides. C’est du classique, mais avec un petit décalage. Il confie en interview que ses créations s’inspirent du théâtre Nô et du kabuki, et ses collections intègrent des gestes scéniques, créant une sorte de dialogue entre retenue et rituel, voire rébellion. Comme son héros du design Hedi Slimane à l’époque de Dior Homme, Otsuki comprend le pouvoir de la coupe. Mais ses costumes parlent plus doucement, façonnés par la culture plutôt que par le commerce. Désormais finaliste du Prix LVMH 2025, Otsuki est au seuil d’une reconnaissance mondiale, mais reste concentré sur l’artisanat plutôt que sur le battage. Son travail démontre un niveau inspirant d’expertise en couture et en savoir-faire, avec un raffinement qui transforme l’avenir du costume.
Steve O Smith
Steve O. Smith ne se contente pas de créer des vêtements, il les dessine. Ce créateur basé à Londres, titulaire d’un master de Central Saint Martins, a maîtrisé l’art de traduire ses croquis en créations réalisées par lui du début à la fin. Grâce à un savant mélange d’appliqué de tissu et de coupe de patron ultra-précise, ses pièces incarnent la spontanéité et le mouvement du dessin. « Je considère les vêtements que je crée comme des dessins à part entière », a-t-il déclaré au magazine W. « Il est donc important pour moi qu’il n’en existe pas trop et qu’ils ne finissent pas chez T.J. Maxx. » Il n’y a pas de place ici pour la production de masse. Chaque pièce est fabriquée sur commande, une subtile rébellion contre le rythme effréné des sorties saisonnières. Les créations de Smith se distinguent par des lignes qui courent et virevoltent sur le corps, traduisant l’émotion en silhouette. Le résultat est une œuvre à la fois intime et immédiate, fraîchement réfléchie dans une industrie obsédée par les logos et la surproduction. Steve O. Smith ne fait pas que concevoir des vêtements ; il trace de nouvelles lignes, au sens propre comme au figuré, autour de l’avenir de la mode.
Torishéju
Torishéju Dumi de Torishéju cherche à redéfinir la mode telle que nous la connaissons. Exposée très tôt au monde du design par la passion de sa mère pour l’art et la mode du XIXe siècle, les origines nigérianes et brésiliennes de Torishéju façonnent profondément sa vision créative. Religion, tradition et spiritualité sont les thèmes centraux de son travail, dessinant un paysage de récits culturels et d’art noir. Diplômée du programme de mode de Central Saint Martins et ancienne de la Fondation Sarabande, Torishéju a affiné ses compétences chez Céline sous Phoebe Philo et s’est perfectionnée dans de prestigieuses maisons de mode telles que Giles Deacon, Ann Demeulemeester et Sibling London. Sa première collection, "Fire on the Mountain", a rapidement attiré l’attention, avec des pièces portées par des stars comme Zendaya et Naomi Campbell, qui a d’ailleurs ouvert son premier défilé parisien. « Quand j’étais plus jeune », raconte Dumi dans son interview pour W, « tout ce que je voulais, c’était être chez Dover Street Market. C’est tout. » Et c’est déjà le cas, et bien plus encore. Récemment, un moment décisif est survenu lorsqu’elle a reçu un e-mail d’Andrew Bolton demandant des pièces de sa collection MAMI WATA pour la collection permanente du Met Institute. Autant dire que c’est une reconnaissance de son influence croissante dans l’industrie de la mode. Le meilleur reste à venir.
All-In
Fondée par Benjamin Barron et Bror August Vestbø, All–In a commencé en tant que magazine en 2015 avant de s’étendre à la mode en 2019. Mais en réalité, la frontière entre les deux n’a jamais été très nette. Une collection devient un éditorial, un éditorial une collection—tout est lié. Pour le comprendre pleinement, il faudrait être dans leur tête. Mais leurs références donnent des indices : féminité exacerbée, un niveau de stylisme à la Lotta Volkova-avec-son-chien-Dima, reines de concours de beauté, stars pop déclinantes, débutantes bubblegum perdues dans un scroll TikTok. C’est toujours une question de personnage—comment l’identité peut être recontextualisée à travers les vêtements. Les vêtements deviennent des scripts narratifs, déconstruisant et reconstruisant des personnages. Le résultat est un rêve : des silhouettes percutantes, souvent avec un petit quelque chose… d’étrange. Comme ils l’ont dit à "Wallpaper" cette semaine, « Nos pièces sont censées être amusantes, mais il y a toujours un élément légèrement décalé. On n’aime pas quand les choses sont trop précises. Si quelque chose peut être facilement classé, alors ce n’est pas vraiment All–In. »





















